L’année 2025, le monde au bord du précipice?

Mustapha Sehimi.

Mustapha Sehimi.

ChroniqueEn 2024, le monde fait face à une accumulation de crises globales, entre guerres, tensions écologiques et incompréhension croissante entre puissances. La polarisation s’intensifie, alimentée par des populismes identitaires, et la multipolarité mondiale s’accompagne d’une instabilité accrue, avec un recul des mécanismes de médiation. Alors que les conflits s’enchaînent, la nécessité d’une nouvelle grammaire des relations internationales devient urgente.

Le 02/01/2025 à 09h17

Force est de faire ce constat en ce début de la nouvelle année: les conflits globaux ne cessent de s’empiler sur la table de la communauté internationale. Avec des guerres en Europe, dans le Caucase, en Afrique et au Proche-Orient, l’agenda s’alourdit épreuve après épreuve. L’inquiétude est générale et monte même d’un cran. L’année écoulée a été rythmée frénétiquement par toutes ces crises, et celle qui s’ouvre voit les populations témoins d’un monde s’approchant du précipice.

Faut-il rappeler pour commencer que le virus de la Covid-19 (SARS-CoV-2) tue encore. Le nombre de décès paraît stagner, à 6,9 millions en 2023 et à 6,7 millions en 2024, et les populations cohabitent donc avec cet agent infectieux depuis 2020. L’incertitude quant à cette pandémie se voit accentuée avec le retour des guerres de haute intensité et la barbarie qui a accéléré l’imprévisibilité du monde. Les études quantitatives montrent une augmentation du nombre de conflits. L’époque se distingue, entre autres, par le trait des crises continuelles, un spectacle de divisions qui se transforme en mouvement de fond. La contestation affecte aussi la sphère écologique, l’année 2024 étant considérée comme l’année la plus chaude de l’histoire, selon le programme d’observation européen Copernicus. Et qui dit chaleur dit sécheresse et difficile gestion de l’eau. La question essentielle est désormais de savoir comment nous mettre au service de l’eau, et non plus l’inverse.

La conjonction des crises affectant l’international, la politique et la planète perturbent les équilibres mondiaux et la paix dans les esprits: l’insouciance a disparu de l’horizon. Autre enseignement à tirer de ces nervosités et de ces anxiétés ambiantes: le sentiment que les acteurs impliqués dans ce rapport de force ne se comprennent plus quand ils parlent, ou, s’ils se parlent, restent arc-boutés sur leur argumentaire et leur narratif. L’incompréhension mutuelle s’installe: elle prend le dessus sur l’échange constructif, et conduit à une forme de défiance, voire d’intolérance, entre les puissances occidentales et un Sud global qui croit en ses chances. La polarisation se consolide, opposant les États aux sociétés civiles, les forces du marché aux défenseurs de la planète ou encore les gouvernants aux gouvernés.

«Dans le passé, tant de guerres ont été empêchées par l’anticipation de réactions internationales et par toutes formes de médiation et d’investissement de la «communauté internationale». Cela ne semble plus être le cas.»

Par sa complexité, le monde devient aussi imprévisible qu’illisible. Pour autant, il n’est pas irrationnel. Car d’une puissance à l’autre, d’un point chaud à l’autre de la planète, que voit-on? Une bataille des rationalités et des sens. À qui profite ce monde partout fracturé? Surtout aux forces du populisme, qui utilisent l’argument identitaire comme grille de lecture des problèmes et comme clé de mobilisation et de contestation. Certains font volontiers référence à la théorie du chaos -c’est excessif et par trop réducteur. Ce qui devrait primer, ce n’est pas l’ancrage identitaire, mais le traitement social. Il faut s’inquiéter de cet état de fait en ce sens que de l’incompréhension naît l’ignorance, et de l’ignorance l’exclusion, puis de l’exclusion la confrontation et la guerre. Il faut sortir de ces logiques meurtrières, redonner du sens commun et redéfinir une seule grammaire des relations internationales.

Le monde est en train de craquer, et trois dimensions sont à distinguer à cet égard. La première est l’enchevêtrement de crises à l’intérieur de nombre d’États, et ce dans le sillage de la problématique des États «faillis» ou «effondrés», pensée à partir des années 1990. Les crises se sont accrues dans un monde toujours interdépendant, et les efforts internationaux de «construction d’États» ont échoué. De plus, des pays démocratiques connaissent aujourd’hui des tensions internes et des formes de polarisation qui contrastent avec les apparentes stabilisations construites à partir des années 1950. La deuxième dimension regarde l’affirmation de puissances qui semblent utiliser les recettes du passé: État autoritaire avec un homme fort, monopole du récit national et instrumentalisation de l’histoire, ambitions internationales assumées au nom de prétendues humiliations passées, d’une identité exceptionnelle et de nécessités de sécurité et de statut. Il en est ainsi de la Chine, de la Russie, de l’Inde, de la Turquie, de l’Iran, etc.

Quant à la dernière dimension, elle a trait à l’épuisement possible des cadres permettant de limiter les conflits. Dans le passé, tant de guerres ont été empêchées par l’anticipation de réactions internationales et par toutes formes de médiation et d’investissement de la «communauté internationale». Mais aujourd’hui, comment ne pas relever le déclin de la capacité et de la volonté des États-Unis à dissuader, hors de leurs alliances traditionnelles? La Chine? Elle n’est pas -encore?- un bâtisseur de paix dans le monde. Le système onusien est souvent bloqué par les dissensions entre membres permanents du Conseil de sécurité, mais aussi par leurs intérêts et visions divergents.

Le monde est devenu multipolaire, mais il n’est pas plus stable, tant s’en faut. Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche et sa prise de fonctions officielle le 20 janvier prochain permettra-t-elle d’entrevoir de nouveaux développements aux conflits meurtriers initiés en 2022 (Ukraine) et 2023 (Proche-Orient)?

Par Mustapha Sehimi
Le 02/01/2025 à 09h17