L’Algérie ouvre une banque en Mauritanie sur fond d’une scandaleuse foire d’exposition de ses produits

Les drapeaux de l'Algérie et de la Mauritanie. . DR

Les autorités financières mauritaniennes ont donné récemment leur feu vert à l’ouverture à Nouakchott d’une succursale des banques d’Etat algériennes. Mais les premiers couacs apparaissent déjà avec la crainte d’une prédation commerciale à l’algérienne, vivement décriée par les opérateurs économiques et les médias mauritaniens.

Le 16/01/2023 à 14h00

«Algerian Union Bank», telle est la dénomination que le régime algérien a choisie pour son nouveau venu dans le paysage bancaire en Mauritanie. Toutefois, cette nouvelle institution financière ne semble pas la bienvenue dans un secteur déjà saturé par la présence de quelque deux dizaines de banques, dont une demi-douzaine battant pavillon étranger (France, Maroc, Qatar…). Ces banques se livrent une âpre concurrence en vue de se partager une clientèle assez réduite, quantitativement du moins, avec un taux de bancarisation qui n’atteint pas les 15%, institutionnels et particuliers réunis.

L’arrivée de la première banque algérienne en Mauritanie semble susciter des craintes, ne serait-ce qu’au regard des objectifs déclarés pour justifier son implantation en Mauritanie, et qui lui donnent des airs de mastodonte prédateur. Ainsi, alors que les banques opérant en Mauritanie sont dans l’ensemble à capital entièrement ou à majorité privé, l’Algerian Union Bank est directement financée par l’Etat algérien à travers quatre banques publiques: la Banque nationale algérienne (BNA), la Banque extérieure d’Algérie (BEA), le Crédit populaire d’Algérie (CPA) et la Banque de l’agriculture et du développement rural (BADR). Ces banques auraient déjà débloqué 50 millions de dollars pour renflouer leur nouvelle succursale mauritanienne.

De même, dans des déclarations aux médias algériens, le directeur général de la BNA, Mohamed Lamine Lebbou, celui-là même qui a piloté et négocié avec les autorités financières mauritaniennes les détails de l’implantation de l’Algerian Union Bank à Nouakchott, n’a fait aucune allusion à la volonté de son pays de contribuer, un tant soit peu, à travers cette banque, au financement ou au développement de l’économie mauritanienne.

Selon Lebbou, la nouvelle banque vise en priorité à financer les exportations des opérateurs publics et privés algériens vers la Mauritanie, à mettre fin au troc pratiqué actuellement aux frontières des deux pays et à mobiliser l’épargne des Algériens résidant en Mauritanie afin d’accroître les transferts de devises vers l’Algérie! En somme, un deal gagnant pour l’Algérie et perdant pour la Mauritanie.

Cependant, certains observateurs prêtent à l’Algerian Union Bank d’autres objectifs, cette fois-ci politiques, voire subversifs. Il s’agirait ainsi, à l’instar des chèques octroyés ces derniers mois au président tunisien, Kaïs Saied, qui a été poussé de la sorte à dérouler le tapis rouge devant les dirigeants séparatistes du Polisario, de faire émerger et financer un puissant lobby anti-marocain au sein de l’échiquier politico-économique mauritanien. Cette hypothèse n’est pas à dédaigner, puisqu’en Algérie, même la corruption figure au fronton des principaux métiers des banques locales.

D’autres analystes craignent, vu l’existence avérée de capitaux croisés entre les banques étatiques algériennes et iraniennes, que leur nouvelle succursale en Mauritanie ne serve de cheval de Troie à un agenda subversif concocté par Alger et Téhéran dans le but de déstabiliser, pour mieux s’y implanter, certains pays de l’Afrique de l’Ouest.

Ce qui est sûr, c’est que l’ouverture de cette banque algérienne tombe au mauvais moment, car coïncidant avec une levée de boucliers sans précédent des médias mauritaniens contre les conditions opaques qui ont entouré la tenue actuelle de la Foire des produits algériens à Nouakchott. En effet, l’organisation de cette foire, dans son édition 2022 mais décalée à ce janvier 2023, a été marquée par une totale mise à l’écart des opérateurs mauritaniens de l’événementiel, au profit exclusif de la Société algérienne des foires et expositions (SAFEX).

Ainsi, nombre d’articles de la presse nouakchottoise ont vivement dénoncé ce qu’ils qualifient de «scandale» et pointé du doigt la responsabilité directe du ministre mauritanien du Commerce, de l’industrie et du tourisme, dont ils n’ont pas manqué de signaler qu’il a effectué récemment une visite officielle de plusieurs jours en Algérie, allant même jusqu’à mettre sa tête à prix.

Dans un article paru dimanche 15 janvier, le site électronique du très sérieux hebdomadaire Le Calame, le numéro 1 depuis quasiment un quart de siècle de la presse francophone indépendante en Mauritanie, a vivement fustigé la boulimie de la SAFEX, accusée de concurrence déloyale et d’être «allée encore plus loin en prenant en charge entièrement l’organisation de sa foire devant le palais des Congrès où son personnel directement venu d’Algérie fut à pied d’œuvre avec du matériel algérien, des travailleurs algériens et des équipements algériens». Et de se demander «avec quelles complicités cette société étrangère a-t-elle pu obtenir si facilement les autorisations douanières et administratives pour acheminer ses équipements, son personnel, ses voitures et citernes de carburant?», concluant que c’est «l’image et la souveraineté nationale» de la Mauritanie qui ont été piétinées.

Et si, finalement, la société mauritanienne Mauricom, leader local de l’événementiel qui a organisé avec brio la première édition de la foire algérienne de 2017 à Nouakchott ainsi qu’un sommet de la Ligue arabe, n’a été écartée par les Algériens que parce qu’une bonne partie de sa logistique, dont d’imposantes et luxueuses tentes caïdales, proviendrait… du Maroc? Affligeant.

Par Mohammed Ould Boah
Le 16/01/2023 à 14h00