Lahbib Choubani, cancre de la régionalisation avancée

Lahbib Choubani, président du Conseil de la Région de Draâ-Tafilalet. 

Lahbib Choubani, président du Conseil de la Région de Draâ-Tafilalet.  . Le360 (photomontage)

Le Conseil régional de Draâ-Tafilalet est celui qui accuse le plus de retard en termes de déploiement de la régionalisation avancée. En cause, un président qui est resté accroché à son fauteuil alors qu’il a perdu sa majorité. Bilan d’un mandat qui a débouché sur des poursuites judiciaires.

Le 28/04/2021 à 16h21

Pour le déploiement de la régionalisation avancée, les pouvoirs publics ont réussi l’exploit de mettre en œuvre 99% de l’arsenal législatif et des mécanismes nécessaires. Mais les conseils régionaux, dotés depuis 2015 de pouvoirs élargis, se démènent encore pour honorer leurs engagements. «Chaque région en est à un stade d’avancement différent si l’on se réfère à l’adoption de Plans de développements régionaux (PDR) ou encore de Schémas d’aménagement urbanistique (SAU) qui aboutissent à la signature de contrat-programmes avec les départements ministériels», nous explique une source de la Direction générale des collectivités territoriales (DGAT), adossée au ministère de l’Intérieur.

Sauf que dans le lot, on retrouve une région où quasiment rien n’a bougé. Le Conseil de Draâ-Tafilalet n’a même pas encore réussi à entériner son PDR, alors que son mandat du Conseil régional touche à sa fin. «Adopter un PDR suppose un minimum de démocratie participative impliquant les différentes parties prenantes, mais il faut croire que ce concept est totalement méconnu pour un président qui a brillé par sa gestion individualiste, qui lui a valu de commettre différentes irrégularités et infractions au point de perdre sa majorité», résume Saïd Chbaâtou, membre de ce Conseil.

Cet élu du Rassemblement national des indépendants (RNI) avait pourtant, comme ses collègues ainsi que les conseillers du PPS et du MP, apporté son soutien à Lahbib Choubani pour prendre la tête du Conseil régional de Drâa-Tafilalet en 2015. Par ce jeu d’alliances (prémonitoires pour les législatives qui ont suivi), ce membre influent du Parti justice et développement (PJD) s’est assuré une majorité confortable (33 sièges sur 45), qui laissait augurer une certaine fluidité et même une certaine célérité dans la prise de décision. Sauf que ce Don Juan de la politique –un sobriquet qui colle à la peau de l’ancien ministre depuis son idylle avec Soumia Benkhaldoun– a réussi au fil des années à se mettre à dos non seulement ses alliés politiques mais aussi ses autorités de tutelle et le pouvoir judiciaire.

Scandales de début de mandatAvant même de boucler sa première année de mandat, le fraîchement président élu Choubani se retrouve empêtré dans plusieurs scandales. «Une de ses premières décisions a été de renouveler le parc automobile du Conseil, qui a coûté près de 4,2 millions de dirhams à la région la plus pauvre du Royaume», rappelle un conseiller de l’opposition. «Lors de la session du Conseil régional du 15 juillet 2016, des acteurs de la société civile étaient venus en masse pour sommer le président Choubani de plier bagage. On lui reprochait déjà sa dilapidation des deniers publics et sa mauvaise gestion», surenchérit un membre d’une ONG locale.

Face à cette contestation, Lahbib Choubani va adopter une ligne de défense qu’il fera sienne jusqu’à aujourd’hui: il maudit les médias, refusant de répondre à leurs questions (il n’a d’ailleurs donné aucune suite aux multiples sollicitations que Le360 lui a envoyées) et accuse ses opposants de «prendre en otage la population pour des considérations politiciennes», comme l’explique un de ses proches.

Alors qu’il prétend défendre la population, l’ancien professeur de physique au lycée d’Errachidia se contente de survendre des mirages: acquisition d’hélicoptères médicalisés, compagnie aérienne régionale appartenant au Conseil… Mais surtout, en tant que membre de la commission centrale de la probité et de la transparence, il donne le mauvais exemple en cherchant à profiter de son statut pour fructifier son propre business. Sa tentative de s’accaparer, avec quatre associés, un terrain de 200 hectares de terres soulalyates, situés à Sahb Chikha, a fait beaucoup de remous au sein même de la direction du PJD. «Abdelilah Benkirane, secrétaire général du parti à l’époque, a dû même intervenir pour dissuader son protégé de mener ce projet, assimilable à du trafic d’influence, alors qu’on était à la veille de législatives», rappelle notre source.

Rapport accablantEn 2018, ces scandales de début de mandat atterrissent à l’administration centrale qui constate que le président Choubani ne semble avoir aucun scrupule à utiliser les fonds de la région pour conforter sa base électorale. Il avait ainsi consacré quelque 12 millions de dirhams de subsides pour des élèves et des étudiants selon des critères qui lui sont propres. «Ces aides directes, sonnantes et trébuchantes, aux populations défavorisées doivent être à l’abri des surenchères politiques et électoralistes. C’est ce que lui a signifié le ministère de l’Intérieur à l’époque, lequel a fini par récupérer ce dossier pour un meilleur ciblage des bénéficiaires», raconte un membre du Conseil.

Mais surtout, l’Inspection générale de l’administration territoriale (IGAT) avec l’Inspection générale des finances (IGF) ont dépêché une mission dans la région. La liste des dysfonctionnements et infractions dans la gestion financière, administrative et juridique relevés est accablante: non-enregistrement des comptes rendus des sessions, absence de preuves de réception des ordres de jour par les membres des commissions permanentes, non-implication de ces dernières dans la prise de décisions, inexistence d’une direction chargée du budget…

Les inspecteurs reprochent également à Lahbib Choubani l’ouverture de plis de marchés publics en l’absence du directeur général des services, l’exagération dans les dépenses relatives aux frais d’hébergement et de repas sans en préciser les bénéficiaires, la conclusion de contrats douteux, l’inadéquation entre le contenu des conventions et la nature des prestations réalisées…

Majorité perdueL’opposition va dans la foulée déposer une plainte contre le président du Conseil qui pourtant n’en démord pas. Imbu de sa personne, il pense qu’il est intouchable surtout qu’un mouvement de nomination de nouveaux walis le «débarrasse» du représentant de l’Intérieur dans la région, lequel lui donnait du fil à retordre. «Il s’est vanté en février 2019 d’avoir été derrière le départ du wali Mohamed Benribag qui avait bloqué plusieurs dossiers litigieux soumis par le dirigeant du PJD», confie un membre du Conseil. Et de poursuivre: «Yahdih Bouchaab qui a pris le relais à la Wilaya de Draâ Tafilalet a continué d’ailleurs dans la même lignée, compte tenu de toutes les irrégularités qui ponctuent les projets présentés par un président qui ne consulte personne.»

La gestion cavalière de Choubani va pousser sa majorité à le lâcher, lors de la session du Conseil régional de juillet 2019. Les conseillers du RNI et du PPS, qui lui ont faussé compagnie, exigent même qu’il rende des comptes. Trois de ses vice-présidents lui ont adressé une missive pour réclamer un état de l’avancement des projets ainsi qu’un rapport détaillé sur l’exécution des budgets des trois dernières années. «Nous lui avons aussi demandé de respecter les prérogatives des commissions permanentes et de ne publier aucun communiqué relatif à la région d’une façon unilatérale», souligne Saïd Chbaatou, qui a été l'un des meneurs de la fronde.

Cette nouvelle coalition, dite du «Groupe des Vingt», n’arrive néanmoins pas à fédérer de manière à destituer le président. «Nous aurions pu atteindre les 30 sièges, soit les 2/3 du Conseil, nécessaires pour inscrire une demande de démission du président à l’ordre du jour, comme le permet l’article 73 de la loi organique. Mais nous n’aurions jamais pu atteindre les trois-quarts des votes du Conseil nécessaires, sachant que le PJD compte 12 sièges», explique un des opposants.

Blocages et poursuitesLe bras de fer entre Choubani et son Conseil débouche sur un blocage des sessions du Conseil tout au long de ces 18 derniers mois. La session d’octobre 2019 a dû être reportée à deux reprises, provoquant la paralysie de plusieurs projets structurants. Un an plus tard, le Conseil a dû se réunir à trois reprises pour rejeter, au final, le projet de budget 2021. «L’ordre du jour de cette session d’octobre 2020 était illégal, étant donné qu’il incluait l’examen et le vote du budget 2020 qui avait été déjà rejeté», explique un membre de l’opposition. Le blocage se poursuit encore lors de la session de mars dernier, auquel Choubani a préféré ne pas faire d’apparition, officiellement «pour des raisons de santé».

«Devant une telle impasse, le ministère de l’Intérieur aurait pu en arriver à déclarer le poste de président vacant pour pousser à la constitution d’un nouveau Conseil, comme cela a été le cas pour la Région Guelmim Oued Noun», confie une source proche de la Direction générale des collectivités territoriales (DGAT). Avec l’approche des élections, le département de Abdelouafi Laftit a préféré néanmoins ne pas interférer, surtout que la justice est entrée en lice.

En juillet 2020, Choubani, avec deux autres membres du Conseil, est auditionné par la Brigade régionale de la police judiciaire de Fès, spécialisée dans les crimes financiers. Objet principal: un marché de 60 millions de dirhams relatif à l’acquisition de 150 bus scolaires. «Non seulement, les deux appels d’offres lancés pour ce marché sont illégaux, car du ressort des conseils provinciaux, mais ils ont été remportés par la même personne à travers deux sociétés différentes, récemment créées, dont l'une qui avait son siège social domiciliée dans une entreprise spécialisée dans la vente de produits de beauté», confie une source proche du dossier.

L’étau se resserre désormais autour du président Choubani. L’affaire a été transmise, début janvier dernier, au substitut du procureur général du Roi près la Cour d’appel, et le président du Conseil de Draâ-Tafilalet risque donc des poursuites pour mauvaise gestion, dilapidation des biens publics ainsi que malversations sur l’attribution de marchés publics.

Un palmarès qui ne plaide pour un nouveau mandat du président. Ce n’est pas d’ailleurs aux élections que devrait se présenter Lahbib Choubani, mais bien devant une cour de justice qu’il devrait comparaître, afin de prouver son innocence. Quant à son incompétence, qui n’est plus à démontrer, elle a freiné le développement de toute une région.

Par Fahd Iraqi
Le 28/04/2021 à 16h21