Le mot ‘politique’, dont des variantes existent dans la plupart des langues du monde, provient du mot grec politika, lui-même dérivé de polis, qui signifie ‘ville, cité’. Il s’agit donc de l’art de mener les affaires d’une cité, plus généralement d’un pays.
En arabe, la politique se dit siassa, un mot qui désignait à l’origine l’art du palefrenier et/ou du cavalier. Il s’agirait donc de diriger l’État comme on mène son cheval, ce qui fait immédiatement penser au dicton «Qui veut aller loin ménage sa monture»: il faut préserver son énergie et ses ressources pour atteindre des objectifs ambitieux (et forcément lointains), plutôt que de tout ‘claquer’ d’un coup.
Cette double excursion étymologique nous suggère plusieurs idées.
L’origine grecque du mot dit d’emblée que la politique devrait être quelque chose de noble. Il s’agit de gérer ensemble la cité, pour le bien de tous, ce qui est le contraire de l’anarchie ou de la loi de la jungle. Or, quand on lit dans la presse, pas plus tard qu’hier, que le ministère de l’Intérieur est en train de préparer une opération mani pulite qui viserait plus de 20 présidents de communes– et un président de Conseil régional– soupçonnés de corruption ou de prévarication, on en reste pantois. Décidément non, ces gens n’ont pas la même conception de la politique que nous. Aristote et Farabi fondaient la politique sur la morale: tous ces présidents fricoteurs devraient être astreints, pendant leur imminente garde à vue, à lire l’un ou l’autre de ces maîtres à penser.
De ce point de vue, on peut comprendre que des jeunes et des moins jeunes, excédés, descendent dans la rue pour dénoncer, entre autres, la corruption et la dilapidation des deniers publics.
«L’étymologie du mot arabe siassa indique qu’il faut être patient. Il n’y a pas de baguette magique qui permettrait de résoudre en un instant les graves problèmes de la santé et de l’éducation. Dans ces domaines, faire de la politique consiste à ménager sa monture.»
— Fouad Laroui
Notons que le droit de manifester– pacifiquement– est garanti par l’article 29 de la Constitution adoptée en 2011. Mais– et c’est un ‘mais’ important– ce droit est soumis à certaines règles. Pour organiser une manifestation, un parti politique, un syndicat ou une association professionnelle doivent déposer une déclaration préalable auprès de l’autorité administrative locale, entre trois et quinze jours avant l’événement, en précisant l’objet, le lieu, l’heure et l’itinéraire de la manifestation. Les organisateurs doivent signer cette déclaration et recevoir un récépissé.
En l’absence de cette procédure, descendre dans la rue ne constitue pas l’exercice d’un droit constitutionnel. Non. C’est plutôt une forme de ‘blanquisme’, c’est-à-dire l’expression bruyante d’une colère– souvent justifiée– dirigée contre exploiteurs et corrompus et d’un sentiment de solidarité avec tous ceux qui souffrent et qui vivent mal. C’est très sympathique, le blanquisme, mais on n’y trouve ni théorie (qui expliquerait l’état des choses) ni propositions concrètes pour améliorer la situation. Ce n’est pas de la politique.
Il faut faire de la politique, au sens noble du terme, au sens grec du terme, et ce n’est pas dans la rue que ça se fait. Ça se fait dans les conseils municipaux, dans les conseils régionaux et au Parlement.
Je ne cesse de dire cela depuis le fameux mouvement du 20 Février. On me répond parfois que les partis, dont la plupart ressemblent à des fonds de commerce familiaux ou à des associations du type cosa nostra, n’attirent pas les jeunes. C’est dommage. On ne peut faire de politique que par le biais des partis– et les jeunes n’aiment pas les partis. Nous sommes pris dans une sorte de cercle vicieux dont j’avoue que je ne vois pas très bien comment sortir. C’est peut-être notre malédiction.
Pour finir, l’étymologie du mot arabe siassa indique qu’il faut être patient. Il n’y a pas de baguette magique qui permettrait de résoudre en un instant les graves problèmes de la santé et de l’éducation. Dans ces domaines, faire de la politique consiste à ménager sa monture. On voit parfois dans la campagne le spectacle désolant d’un petit âne surchargé, épuisé, qui n’en peut plus mais que son maître accable de coups pour le faire avancer. Des coups, des coups, la politique, ce n’est pas ça non plus.





