«Je veux, je ne veux pas»: les sidérants faux-fuyants de l’Algérie sur une solution avec le Maroc

Le ministre algérien des Affaires étrangères Ahmed Attaf, lors de son passage sur la plateforme de podcasts Al Atheer de la chaîne qatarie "Al Jazeera".

Le 28/12/2023 à 13h37

VidéoAprès avoir clairement fait part à la chaîne «Al Jazeera» de la volonté de son pays de trouver une «solution rapide» aux différends minant les relations avec le Maroc, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, pressé par la junte, a vite marqué une calamiteuse marche-arrière où il nie en bloc une telle «volonté». Un rétropédalage indigne d’une diplomatie qui se respecte, reflet d’un pays qui, plus que jamais, marche à hue et à dia.

C’était, à la limite, trop beau pour être vrai. Mais le rétropédalage aura été aussi précipité que la déclaration semblait mûrement réfléchie. Dans un long entretien accordé à Al Jazeera, diffusé cette semaine sur sa plateforme de podcasts Atheer et naturellement animé par Khadidja Benguenna, tristement célèbre journaliste algérienne et «amie» du régime, Ahmed Attaf nous a gratifiés d’une position a priori épatante sur l’avenir des relations entre le Maroc et l’Algérie.

Confortablement installé dans un fauteuil en velours, devant un décor inspirant calme et sérénité, et dans un arabe classique certes approximatif, mais se voulant châtié, le chef de la diplomatie algérienne s’en est donné à cœur joie, refaisant le monde à sa guise et donnant cette impression de sagesse et de grandeur de son pays qui cadre mal avec les faits. Mais passons.

Là où Ahmed Attaf s’est montré agréablement surprenant, c’est lorsqu’il a évoqué les relations de son pays avec le Maroc. Que nous apprend-il, littéralement? «En ce qui concerne nos relations avec le Maroc, l’Algérie est à considérer comme la partie qui tend le plus à trouver une solution. Nous sommes conscients, au même titre que les autres pays de la région, que la construction de l’Union du Maghreb arabe et que la fraternité entre ses peuples sont encore possible». À la question si ce rêve existait encore, Attaf répond sans sourciller: «Évidemment!». «Ce rêve ne peut être anéanti», enchaîne-t-il. «Et j’attends avec impatience le jour où nous retenterons cet essai». En attendant, «notre rôle est de préparer le terrain. Et nous sommes prêts», insiste-t-il.

La phrase, et bien d’autres, ont fait le tour des rédactions et des réseaux sociaux, tant les propos paraissaient nouveaux et annonciateurs de pas concrets et prometteurs. Al Jazeera, qui en a le talent et la méthode, en a fait ses choux gras à coups de teasers et de percutants extraits. Mais, il fallait s’y attendre, l’enthousiasme de certains commentateurs, essentiellement algériens, est vite retombé.

Un cycle infernal

Dans une «clarification» distribuée par la junte aux médias algériens à sa botte, on apprend que, malgré ses dires, Ahmed Attaf n’a à aucun moment parlé d’une quelconque volonté d’Alger de «rechercher une solution rapide» à la crise algéro-marocaine. Et à ceux qui en douteraient encore, nous apprenons également que l’Algérie «ne fera jamais le premier pas». On y reviendra. Quelle mouche a donc piqué Ahmed Attaf pour qu’il sorte de la doxa du régime qui le biberonne et qu’il se prenne pour un «vrai» diplomate? «Le chef de la diplomatie voulait clairement insinuer (admirez l’oxymore) que si crise il y a entre l’Algérie et le Maroc et si retard il y a dans l’édification de l’espace régional maghrébin, la faute n’incombe forcément pas à la partie algérienne», lit-on notamment dans Algérie patriotique, un Pravda-bis et porte-voix du (vrai) régime militaire propriété du général Khaled Nezzar, au demeurant poursuivi par la justice suisse pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. À bien lire, il nous est sommé de croire sur parole que le chef de la diplomatie algérienne n’a pas dit ce qu’il a vraiment dit. Ça plane très haut.

À quoi donc peut s’apparenter la sortie tout en mélodies d’Ahmed Attaf sur Al Jazeera, vite ravalée par la junte au pouvoir? Un ballon d’essai pour faire les yeux doux à un Maroc qui marque de précieux points sur le registre de son Sahara, érigé désormais comme point focal pour le développement à venir de toute l’Afrique de l’Ouest et du Sahel? Où serait-ce simplement le nouveau pas de travers d’un ministre qui ne sait plus sur quel pied danser, sans doute adouci par l’ambiance cosy du cadre où il s’est permis un peu de sympathie?

«Premier pas, dites-vous?»

Une chose est sûre: l’action de communication menée sur la chaîne qatarie est un ratage total, puisque le propre d’une telle sortie est d’être un tant soit peu cohérente. En rabrouant «son» ministre de la sorte, la junte apporte simplement une nouvelle illustration de sa totale maladresse et du peu de cas qu’elle fait des règles diplomatiques les plus élémentaires. Un régime qui opère à hue et à dia, selon l’humeur versatile de ses dirigeants et du temps qu’il fait, n’hésitant pas à sortir les mêmes vieilles litanies des mêmes vieux tiroirs: le Maroc, cet ogre occupant, allié du grand Satan israélien, ami et frère du démon émirati. Tous agissent de concert pour déstabiliser la gentille, fragile, mais ô combien vaillante Algérie.

Parlant de «premier pas» qu’elle ne consentira point, la junte semble ignorer que des pas, le Maroc n’a cessé d’en faire. Tant pour apaiser ses relations avec le voisin que pour ressusciter une nécessaire UMA dont il abrite le siège. C’est au Maroc, sous le règne de feu Hassan II, que la première et unique tentative sérieuse de sa construction a eu lieu. C’était le 17 février 1989, à Marrakech, quand les cinq chefs d’État du Maghreb ont signé le traité constitutif de l’Union du Maghreb arabe. L’Algérie, elle, n’a cessé de fermer les portes les unes après les autres, barricadant ses frontières terrestres depuis maintenant 30 ans et, dernière trouvaille, rompant ses relations diplomatiques avec le Royaume depuis août 2021. La main tendue au voisin par le roi Mohammed VI à de nombreuses occasions et dans des discours officiels, comme ses appels à faire cesser la bêtise du non-Maghreb, eux, le régime voisin refuse de les entendre, leur préférant les sornettes d’un autre âge, proprement celui de ses dirigeants.

Quand Ahmed Attaf parle de main tendue, il se limite à la proposition d’aide exprimée par Alger à l’égard du Maroc après le séisme du 8 septembre. Devant la journaliste d’Al Jazeera, il s’offusque que le Maroc l’ait refusé, préférant concentrer la réception d’aides à quatre pays exclusivement (Émirats arabes unis, Qatar, Espagne et Royaume-Uni). «J’ai été chargé de prendre attache avec mon homologue marocain, Nasser Bourita, pour présenter mes condoléances au nom de l’Algérie et exprimer notre disposition à aider. Il n’a pas pris mon appel et jusqu’à aujourd’hui, il n’y a pas encore répondu. J’en conclus qu’il n’existe pas de volonté politique ni de bonne foi de la part des autorités marocaines», dit-il.

Tout est de savoir comment un État souverain pourrait accéder à une telle «offre», venant d’un pays qui ne cesse de clamer ouvertement son hostilité et tourner allégrement le dos à des propositions autrement plus engageantes et plus importantes. Au Maroc, cela s’appelle «cacher le soleil avec un tamis» et, en la matière, le régime algérien a indubitablement des leçons d’expertise à donner au monde.

Par Tarik Qattab
Le 28/12/2023 à 13h37