Aksel Bellabbaci est l’un des principaux responsables du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), mouvement présidé par Ferhat Mehenni. Sur demande de l’Algérie, qui l’accuse d’être le commanditaire des feux de forêt de l’été 2021 (plus de 250 morts et d’immenses dégâts matériels), il a été convoqué et placé en garde à vue, le jeudi 20 juin, par la police française à Paris. Le lendemain, il a été remis en liberté, un magistrat ayant jugé que le jeune leader kabyle n’était ni un pyromane ni un terroriste, comme le présente le régime militaire algérien. Il se confie à Le360.
Le360: Dans quel contexte est intervenue votre garde à vue?
Aksel Bellabbaci: J’ai reçu une convocation chez moi pour me présenter au commissariat du 17ème arrondissement de Paris. Ce que j’ai fait, le jeudi 20 juin, à 9H30. Sur place, on m’a notifié une garde à vue de 24 à 48 heures, à la suite d’un mandat d’arrêt international émis par l’État algérien. La première des choses que j’ai faites a été d’alerter les responsables du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), Ferhat Mehenni en premier lieu, afin de leur signaler ma situation. Le MAK a engagé un avocat qui m’a rejoint dans les locaux de la police. Avant, je n’étais pas au courant de l’existence de ce mandat d’arrêt. On entendait, de temps à autre, des rumeurs dans ce sens, relayées par les médias algériens, et aussi que j’ai été accusé de nombreux méfaits. Là, c’est officiel.
Au MAK, comment comptez-vous faire face à cette campagne de harcèlement du régime algérien?
Nous sommes dans une guerre non déclarée avec le régime algérien, une guerre où ce régime se permet de recourir à tous les moyens pour nous mettre à genoux. De notre côté, nous utilisons les moyens légaux et nous restons toujours dans le respect du droit international, ce qui n’est pas le cas du régime algérien qui enfreint toutes les lois dans cette bataille. Nous allons continuer à médiatiser notre cause à l’échelle internationale et chercher à obtenir le soutien des pays qui croient en la démocratie et en la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes. Nous allons aussi continuer à protéger nos militants qui sont sur place, avec l’appui des ONG et selon les mécanismes de l’ONU. Tout cela en attendant que la rue kabyle bouge à nouveau pour entamer une nouvelle phase: revendiquer clairement l’indépendance de la Kabylie.
Dans votre cas, par exemple, pourrait-on parler d’un deal entre la France et le régime algérien?
La relation entre la France et l’Algérie, c’est une relation d’un père et de son fils, puisque l’Algérie est une création française à 100%. C’est une sorte de naissance, mais d’un fils malheureusement mal éduqué. Il y a une relation spéciale entre les deux pays.
«En Algérie, pour un simple message ou un like sur Facebook, vous pouvez risquer 10 à 20 ans de prison.»
— Aksel Bellabbaci, numéro 2 du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK).
Mais on ne peut pas non plus cacher le fait que la justice française est libre. Je suis soulagé de m’être retrouvé, hier et avant-hier, face à un magistrat français et non pas algérien. Ce juge a pris une décision correcte et logique. Avec le régime algérien, nous avons un bout de chemin à faire ensemble dans le cadre d’une justice internationale, pour faire la lumière sur l’affaire des feux de forêt de la Kabylie et de l’assassinat de Jamal Bensmaïl. Ce sera l’occasion pour nous d’innocenter la Kabylie. L’Algérie avait accusé le MAK, et moi personnellement comme commanditaire, en plus du Maroc et Israël d’être derrière ces incendies. Nous voulons faire éclater la vérité sur les vrais pyromanes qui ont causé plus de 250 morts et d’immenses dégâts matériels dont les traces sont toujours là, indélébiles.
À un certain moment, le MAK aurait envisagé de quitter la France pour un autre pays. Qu’en est-il de cette éventualité?
Le MAK n’est pas basé uniquement en France. Il est vrai que son président y réside en tant que réfugié politique, aux côtés d’une forte communauté kabyle qui nous donne plus de visibilité sur le sol français. Si nos instances dirigeantes sont hébergées dans l’Hexagone, il ne faut pas non plus oublier que le MAK est représenté avec des institutions et des responsables aux États-Unis, au Canada et partout dans le monde. Donc, pour l’instant, le président et moi-même nous n’envisageons pas de quitter le sol français. Mais s’il y a un changement dans l’avenir, toutes les options resteraient à étudier.
Et en Kabylie, quelle est la situation actuelle?
La Kabylie est une prison à ciel ouvert, en état de siège, encerclée par toutes les forces militaires algériennes. Il n’y a personne qui peut s’exprimer et il n’y a pas de protestations. Depuis l’été 2021, la Kabylie est sous surveillance et nos militants sont traqués sans répit. Pour un simple message ou un like sur Facebook, vous pouvez risquer 10 à 20 ans de prison.
«Si le régime algérien ne fait pas de gestes d’apaisement, nous serons dans l’obligation de déclarer l’indépendance de la Kabylie le 14 juin 2025»
— Aksel Bellabbaci, numéro 2 du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK).
Nous comptons toujours des centaines de militants dans les prisons algériennes, des dizaines de condamnés à mort et des milliers de personnes qui sont interdites de quitter le territoire, dont des artistes, des écrivains et des chanteurs. La situation est vraiment très critique, mais les gens gardent espoir, car la rue kabyle va finir par bouger. Elle le fera pour un objectif bien clair: l’indépendance de la Kabylie, avec un nouveau projet politique mis en place par le MAK et qui n’existait pas avant 2001.
Où en êtes-vous pour la proclamation de la république kabyle?
Le 20 avril dernier à New York, à 18H57 exactement, nous avons déclaré l’État kabyle et nous avons donné un ultimatum à l’Algérie: si elle ne fait pas de gestes d’apaisement en libérant tous les prisonniers kabyles et en initiant un processus de stabilisation avec la Kabylie, nous serons dans l’obligation de déclarer, de manière unilatérale, l’indépendance de la Kabylie le 14 juin 2025, date qui commémore la grande marche du 14 juin 2001, et qui est aussi la date de la Journée de la nation kabyle. Nous avons un an devant nous pour convaincre des États de reconnaître la Kabylie. C’est aussi un délai donné au pouvoir algérien pour réfléchir, à condition bien sûr qu’il dispose de cerveaux encore capables de le faire, parce que nous en doutons sérieusement, afin de trouver une issue honorable pour tous.