Futur gouvernement: les raisons du blocage

Le360 : Adil Gadrouz

Plus de 40 jours après les élections législatives du 7 octobre, le Maroc tarde à être doté d’un nouvel Exécutif. Abdelilah Benkirane peine à composer un gouvernement et rien ne laisse présager une sortie de crise avant plusieurs semaines. Eclairage.

Le 21/11/2016 à 16h22

Le Maroc vient de vivre une semaine intense. Il a réussi le pari de l’organisation de la COP22 et le souverain a présidé un sommet historique réunissant la majorité des chefs d’Etat africains avant de reprendre son périple sur le Continent en se rendant en Ethiopie, à Madagascar, puis, dans les jours à venir, au Nigéria et en Zambie. A côté du dynamisme du roi et de son agenda très chargé, on est face au vide sidéral d’une coalition gouvernementale qui finira par ressembler à l’Arlésienne (celle dont on entend parler et qu’on ne voit jamais!).

Le360 a interrogé plusieurs acteurs politiques. Les interprétations divergent, les causes diffèrent, mais tous sont unanimes sur ceci: «aucune coalition gouvernementale ne pointe à l’horizon».

Lundi 10 octobre, le roi Mohammed VI a chargé Abdelilah Benkirane de former un gouvernement, et quarante jours plus tard, le SG du PJD n’a pas progressé d’un iota. A cela, plusieurs raisons; la principale ayant trait à l’absence des vertus liées à la négociation.

Le gouvernement se fera avec l’Istiqlal et le PPS ou ne se fera pasFort du score réalisé par son parti (125 sièges), Abdelilah Benkirane a d’emblée décidé que sa coalition gouvernementale compterait l’Istiqlal (46 sièges) et le PPS (12 sièges). Confiant en un total de 183 sièges, il ne lui manquait que 15 sièges pour une majorité gouvernementale et pensait que les prétendants, alléchés par des portefeuilles ministériels, allaient se bousculer devant sa maison à Rabat. Le MP et l’USP étaient particulièrement désignés pour que le compte soit bouclé. Et Benkirane a même décidé de ne pas se presser, pensant que le temps allait jouer en sa faveur et que l’un ou l’autre de ces deux partis finirait par faire davantage de concessions pour rejoindre le gouvernement.

Donc, dès le début Benkirane a commencé par imposer ses diktats. Son gouvernement se fera avec l’Istiqlal et le PPS ou ne se fera pas. Cette psychorigidité du chef du gouvernement désigné tient à la fois du sentiment de suffisance conforté par le score du PJD et de l’absence d’une culture politique fondée sur la négociation. Benkirane s’entretient avec les autres partis pour la forme, mais au fond, il a un credo bien ancré et la configuration de son gouvernement bien dessinée. Les autres partis, il ne les consulte que pour avoir leur consentement et non pas pour les écouter. 

Or, en politique, la négociation est une base pour avancer. Et négocier signifie aussi discuter, faire des concessions pour parvenir à un accord. Benkirane ne veut rien concéder. Ce qui rend les discussions verticales. Conforté par l’arithmétique (science qu’il affirme placer au-dessus de tout), le chef du gouvernement désigné cherche à imposer son point de vue et sa logique à ses interlocuteurs. Or, même en se référant à l’arithmétique, l’équation de la formation d’un gouvernement est impossible sans 198 sièges. Et pour les former, Benkirane devrait plutôt lire un traité sur les bienfaits de la négociation en politique.

Un tête-à-tête à plusieurs oreilles

Pour ne rien arranger, Abdelilah Benkirane prend un malin plaisir à ébruiter la teneur de ses tête-à-tête avec ses interlocuteurs. Chose que n’ont jamais osé ni Abderrahman Youssoufi, ni Driss Jettou ou Abbas El Fassi qui ont toujours agi en hommes d’Etat. A peine a-t-il rencontré en tête-à-tête Aziz Akhannouch que la teneur de leur échange est étalée dans les publications proches du parti de la Lampe. Ce non-respect du secret des échanges crée des tensions inutiles et de la méfiance. Benkirane sait pourtant quand il faut tenir sa langue, mais quand cela ne l’arrange pas, il ébruite pour que les «milices électroniques» fassent le travail de propagande nécessaire et diffusent des messages du genre: «tel ou un tel veut saborder le résultat des urnes, s’opposer à la volonté du peuple…». Cette façon de faire est contreproductive et contribue seulement à créer de la méfiance.

Résultat: il existe aujourd’hui deux blocs. D’un côté, un bloc, qui a certes la constitution pour lui dans la mesure où il compte le parti sorti vainqueur des élections, mais n’a pas le nombre suffisant pour constituer le gouvernement: le PJD, Istiqlal et PPS (183 sièges). D’un autre côté, un bloc qui a une majorité pour constituer le gouvernement mais ne compte pas dans ses rangs le parti sorti vainqueur du scrutin du 7 septembre. Ce bloc, composé du PAM, RNI, MP, USP et UC, compte 203 sièges. Soit une majorité pour constituer un gouvernement.

Les positions entre ces deux blocs sont tranchées et resteront irréconciliables, à moins que Benkirane ne décide réellement de négocier sans conditions préalables et dans le respect de ses interlocuteurs.

En l’absence de cette volonté de négocier, deux portes de sortie restent possibles: une intervention du roi pour relancer les négociations ou bien reconnaître une impasse préjudiciable au fonctionnement des institutions et charger une personnalité au sein du bloc composé des PAM, RNI, MP, USP et UC, de former le gouvernement. Le fonctionnement du Parlement avec ses deux chambres ne saurait demeurer très longtemps paralysé par l’absence d’un Exécutif.

Par Mohammed Boudarham
Le 21/11/2016 à 16h22