Les réseaux sociaux ont cela d’extraordinaire, qu’ils ont fait naître des vocations de coloristes et de cartographes de dimanche chez des propagandistes à plein temps.
On découvre ainsi sur le compte Instagram d’un commentateur sportif algérien officiant dans une chaîne qatarie, une carte pour le moins risible du nord-ouest de l’Afrique, présentée frauduleusement comme une production française datant de 1805, dans laquelle aucune aberration n’a été épargnée, que ce soit sur le plan géographique, historique, chronologique ou même au niveau de l’orthographe, tout aussi grossièrement malmenée.
Nous savions les fantasmes atlantiques obsédants pour certains.
Nous savions aussi l’imagination, mythomane à volonté, désireuse de combler les lacunes et de travestir les faits, qui demeurent bel et bien têtus.
L’année 1516 marque le début de la Régence d’Alger, intégrée à l’empire ottoman, qui allait durer plus de trois siècles, jusqu’à sa conquête en 1830 par la France, qui en a fait une colonie de peuplement et a créé en 1848 les départements français d’Algérie (Constantine, Alger, Oran) correspondant globalement aux beyliks ottomans, alors que les Territoires du Sud n’ont vu le jour qu’en 1902 avec l’occupation tous azimuts de terres indues.
Trois provinces divisaient, en effet, la Régence turque dont la plus haute autorité est le bey, désigné parmi les milieux ottomans et kouloughlis (métis de pères turcs) par le dey d’Alger, placé lui-même sous l’autorité nominale de l’empire ottoman.
Ce sont: le beylik de l’Est, le plus étendu des trois avec pour villes principales Constantine, Annaba, Bejaïa, Jijel, Setif…; le beylik de Titteri, constitué en 1546 avec comme villes notables Miliana, Blida ou Médéa et le beylik de l’Ouest, avec pour capitales Mazouna jusqu’en 1701, puis Mascara et, enfin, Oran en 1792.
Au voisinage de ce dernier beylik, se trouve l’empire chérifien qui tenait les Ottomans au respect depuis le règne des Saâdiens auprès desquels avaient été menés des pourparlers frontaliers via des délégations dépêchées par le sultan ottoman, Suleiman 1er, surnommé en occident, Soliman le Magnifique.
Depuis le début de règne de la dynastie Alaouite au XVIIe siècle, la frontière entre le Royaume du Maroc et la Régence Turque était ensuite fixée le long du cours du fleuve Tafna, qui prend sa source dans les monts de Tlemcen pour se jeter, au niveau de l’agglomération de Rachgoun, dans la mer Méditerranée.
Le premier traité du genre est signé avec Moulay Mohammed ben Cherif, chef de file de la dynastie Alaouite dont les membres étaient installés au Tafilalet depuis le XIIIe siècle à partir de l’oasis de Yanbu au Hijaz, avant d’être proclamés dans un contexte marqué par les divisions politiques survenues à la suite de la mort du puissant sultan saâdien Ahmed al-Mansour.
Dirigeant ses expéditions vers l’Est, Moulay Mohammed parvient en 1650 à Nedroma et à Tlemcen, obtient l’allégeance des Dkhissa et des Hemyane, puis avance jusqu’à Ghassoul, Aïn Madi et Laghouat.
Dans son ouvrage en arabe dédié à l’Histoire générale de l’Algérie, le théologien et historien algérien cheikh Abderrahmane ben Mohamed Djilali écrit, au sujet de ces événements, qu’ils provoquèrent une inquiétude générale auprès des autorités ottomanes puisque leurs sujets ont failli se révolter contre le gouvernement.
Le dey d’Alger Othmane Pacha réunit un Conseil qui conclut à l’envoi d’une délégation portant une lettre rédigée par la plume d’al-Mahjoub al-Hadri.
Les ambassadeurs arrivèrent à Sijilmassa en 1654, portant la missive à laquelle Moulay Mohammed répondit par l’engagement solennel de ne pas franchir la Tafna, comme le rapporte plusieurs historiens tels Zayani ou Ibn Zidane.
«Ce prince, écrit AGP Martin à son tour, dans son ouvrage «Quatre siècles d’histoire marocaine» avait, un moment, porté l’Etat de Sidjilmassa à un haut degré de prospérité, car il y avait incorporé non seulement le Touat, mais encore le Drâ, la Haute-Moulouïa, le territoire de Tlemcen avec les Beni-Snous, les Beni-Mathar, les Hameïanes, les Mehaïa, les Ahrar, les Soueïd, les Hachem, le Djebel-Rached, Aïn-Madhi et Laghouat; il reçut, à Sidjilmassa, des ambassadeurs turcs avec lesquels il fixe la Tafna comme limite de ses possessions».
Sous le règne de son frère Moulay Rachid, les chroniques historiques retiennent que des messagers ottomans lui demandèrent de ne pas permettre l’incursion de ses troupes dans des territoires sous tutelle ottomane, en contrepartie de l’abandon de leur part de toute velléité d’expansion en terre marocaine, au terme d’un accord bilatéral confirmant la Tafna comme limite de souveraineté entre les deux.
A sa mort en 1672 à Marrakech, à l’âge de 42 ans, des suites d’un accident de cheval, la tête heurtée par une branche d’arbre dans les jardins de l’Agdal, c’est son frère Moulay Ismaïl, alors âgé de 27 ans, qui est intronisé à Meknès dont il était gouverneur.
Son long règne grandiose n’a pas manqué de sortir la Régence turque de sa réserve, n’hésitant pas à soutenir les aspirations du neveu rebelle, Ahmed ben Mahrez, dont le sultan triompha en même temps qu’il contrait les visées ottomanes.
En 1679, Moulay Ismaïl avance jusqu’à la vallée du Chélif mais finit par reconnaître la validité des traités signés par ses frères et les frontières convenues, formées par la Tafna.
Le traité est renouvelé en 1697 dans le cadre de l’ambassade de dix personnes envoyée depuis Constantinople par le sultan ottoman Moustafa II, demandant au sultan marocain de conclure la paix avec les Turcs d’Alger.
Ce sont ces frontières, fixées par plusieurs accords, qui auraient dû être confirmées lors du traité de Lalla Maghniyan, signé en 1845 avec le gouvernement français du roi Louis-Philippe à la suite de la bataille d’Isly dans laquelle le Maroc, défait, s’était pleinement engagé à côté de la résistance algérienne subissant, pour cela, le bombardement de Tanger et d’Essaouira, ainsi que toutes les conséquences qui en découlèrent.
Le traité stipule dans son article premier:
«Les limites qui existaient autrefois entre le Maroc et la Turquie resteraient les mêmes entre l’Algérie et le Maroc. Aucun des deux empereurs ne dépassera la limite de l’autre…».
La réalité sera tout autre et les limites largement dépassées à l’ouest jusqu’à oued Kiss alors que, plus au Sud, la délimitation était jugée «superflue», ouvrant la porte à toutes les spoliations ultérieures.
Ce qui fait écrire au professeur d’Histoire contemporaine Victor Morales Lezcano:
«Tout le gigantesque ventre saharien de l’Algérie, aussi bien depuis la frontière libyo-tunisienne qu’en direction de la frontière mauritano-marocaine, s’est configuré dans la deuxième moitié du XIXe siècle, à partir de la date cruciale de 1844-45».
Pas étonnant qu’une certaine critique de façade de la colonisation française porte en elle une adulation sans limite pour ses frontières, poussant même les délires expansionnistes jusqu’à divaguer en couleur sur un Impossible couloir.