Enseignement supérieur: la nouvelle grève des étudiants en médecine est-elle justifiée?

Lors d'une récente manifestation organisée par des étudiants en médecine devant le Parlement, à Rabat.

En grève ouverte depuis près de deux mois, les étudiants en médecine continuent de se mobiliser pour protester contre la réduction de la durée de leur formation de 7 à 6 ans. Une source au ministère de l’Enseignement supérieur a bien voulu nous parler des enjeux qui se cachent derrière ce mouvement de contestation. La question de fond qui se pose est de savoir si le Maroc doit continuer à former des médecins pour servir les systèmes de santé français et allemand, au détriment du national.

Le 14/02/2024 à 12h01

Dans toutes les facultés de médecine du Maroc, les étudiants font entendre leur colère depuis quelques semaines, multipliant sit-in et marches, allant jusqu’à boycotter les cours, les terrains de stage et les examens semestriels. Le tout pour manifester leur rejet de la réforme de leur cursus d’études, dont la durée a été réduite de 7 à 6 ans. Les étudiants grévistes estiment que cette réforme, en l’absence de mesures d’accompagnement, risque de ne pas produire les résultats escomptés, car, à leurs yeux, elle privilégierait la quantité à la qualité.

Contactée par Le360, une source au ministère de l’Enseignement supérieur a bien voulu nous éclairer sur la vision du département de tutelle et sa lecture des revendications des étudiants en médecine. «La réduction de la durée de formation en médecine de 7 à 6 ans n’est pas un acte isolé. Cette décision s’inscrit dans le cadre d’un vaste chantier royal de réforme du système de santé et a pour but de combler le manque criant de médecins et de professionnels de santé», affirme d’emblée notre source.

Un benchmark international

Le gouvernement a ainsi procédé à un benchmark international, et a constaté que le Maroc est le seul pays, avec la France, à avoir une formation en médecine s’étendant sur 7 ans. «Il a aussi été constaté que la septième année ne prévoit pas de cours et se limite à des stages. Les étudiants, n’étant pas pressés, prennent du temps avant de finir leurs projets de thèse, et tentent quelques stages dans les provinces en contrepartie d’une rémunération spécifique», a noté notre interlocuteur.

Les doyens des facultés de médecine ont été unanimes à relever que cette septième année du cursus n’était pas adossée à un programme pédagogique spécifique. Partant de ce constat, la décision a été prise de passer à six ans, à l’instar de nombreux autres pays (Allemagne, Espagne, Italie, etc.).

«L’idée consiste à demander aux étudiants de travailler un peu plus pour finir leurs thèses en sixième année. On a discuté avec les étudiants, qui ont adhéré à cette réforme introduisant de nouveaux outils (intelligence artificielle, télémédecine, simulation, etc.)», explique la même source.

Sachant que l’arrêté actant le basculement vers une formation de six ans est sorti il y a plus d’un an et demi, se pose la question des raisons qui ont poussé les étudiants à revenir à la charge et rejeter une réforme… qu’ils avaient pourtant approuvé deux ans plus tôt.

«Il y a des gens qui poussent à l’extrême. Certains étudiants essaient de surfer sur la vague de la grève des enseignants pour hausser la barre», argumente notre interlocuteur. Lors de son passage devant le Parlement, lundi 29 janvier dernier, le ministre de l’Enseignement supérieur, Abdellatif Miraoui, avait d’ailleurs laissé entendre que ce dossier a été «politisé en dehors de l’hémicycle», faisant allusion au mouvement islamiste Al Adl wal Ihssane, soupçonné d’être l’instigateur de cette nouvelle vague de contestation estudiantine.

Concernant le cursus de formation, Abdellatif Miraoui a égrené ses arguments, notamment contre ceux qui auraient fait croire aux étudiants que le diplôme de six ans va les priver de partir travailler en France. «Est-ce que nous formons des médecins pour aller travailler dans un autre pays?», a lancé le ministre devant les députés, précisant qu’un étudiant en médecine coûte chaque année à l’État une enveloppe de 60.000 dirhams, voire 70.000 dirhams dans le cas d’un étudiant en médecine dentaire.

Le ministre a aussi indiqué que son département délivre chaque année environ 3.000 diplômes de médecine d’équivalence issus de pays comme l’Ukraine, la Russie et la Roumanie. «Voulez-vous qu’on forme des médecins au Maroc et que notre pays devienne un hub de formation en médecine en Afrique, ou bien laisser nos enfants revenir se former au milieu de la guerre en Ukraine?», renchérit le ministre.

«Une question de souveraineté nationale»

Pour Abdellatif Miraoui, la formation en médecine devient une question de «souveraineté nationale». Tous les moyens sont désormais mobilisés pour former plus de médecins et accompagner l’ambitieux chantier de la généralisation de la couverture médicale (AMO pour tous). En effet, le nombre de sièges pédagogiques a augmenté de 38% cette année, tandis que de nouvelles facultés de médecine ont ouvert leurs portes à Béni Mellal, Guelmim et Errachidia.

Selon notre interlocuteur, il est faux de penser que le diplôme de six ans ne sera pas accepté en France. «La plupart des médecins roumains, qui ont fait des études de six ans, partent en France. Les Français cherchent des bras pour les gardes et savent que les étrangers qui arrivent mettront du temps avant de devenir des médecins aguerris», poursuit-il.

Attirer les talents, notamment les professionnels de santé, fait l’objet d’une compétition internationale importante. La France (qui attire, avec l’Allemagne, jusqu’à 1.500 jeunes médecins marocains chaque année) a fait de ce sujet une priorité, exprimée au plus haut sommet de l’État. Ainsi, lors de sa déclaration de politique générale, le mardi 30 janvier, le nouveau premier ministre français Gabriel Attal a fait part de sa volonté de régulariser la situation des praticiens étrangers venus en France, confirmant ainsi l’objectif annoncé quinze jours plus tôt par le président Emmanuel Macron. Gabriel Attal est même allé plus loin, annonçant la nomination d’un émissaire «chargé d’aller chercher à l’étranger des médecins qui voudraient venir exercer en France».

La régularisation de la situation des praticiens à diplôme hors Union européenne (PADHUE), dont le nombre s’élève à environ 5.000 (venus majoritairement du Maroc), peut être perçue comme une menace pour le système de santé marocain, en ce sens que cette mesure ne peut que renforcer davantage l’attractivité de la France auprès des étudiants marocains en médecine.

Rémunérés à hauteur de 2.200 euros par mois, beaucoup de ces «PADHUE» sont partis en France durant la crise du Covid-19, alors que les hôpitaux en surcharge avaient un besoin criant de renforts. «Ils tiennent parfois à bout de bras nos services de soins et nous les laissons dans une précarité administrative», avait d’ailleurs déclaré le président Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse le 17 janvier.

Le gouvernement Attal entend pousser le curseur encore plus loin en donnant aux infirmiers expérimentés la possibilité d’accéder directement à la troisième année de médecine. «Cela montre que le système français de santé agonise. Le Maroc n’en est pas encore arrivé à ce stade et s’est juste contenté de réduire la durée de formation à six ans», soutient ce professionnel de santé.

Le gouvernement Akhannouch est conscient qu’il serait difficile, voire impossible, de stopper l’hémorragie. «Même si on bascule vers un cursus de 4 ans, la France et l’Allemagne vont continuer à attirer les médecins marocains», regrette notre interlocuteur au ministère de tutelle. Et d’ajouter: «Aujourd’hui, dès leur entrée en première année de médecine, les étudiants s’inscrivent dans les instituts Goethe pour apprendre l’allemand dans la perspective d’aller travailler en Allemagne une fois leur diplôme en poche. Les facultés de médecine se sont transformées petit à petit en une sorte de succursales destinées à former des médecins pour des pays étrangers».

Éviter de reproduire l’épisode de 2019

Par ailleurs, le gouvernement rejette fermement les arguments qui sous-tendent le mouvement de contestation des étudiants en médecine. «Le problème des terrains de stage est aujourd’hui résolu suite à la création des groupements sanitaires territoriaux. Le ministère a partagé avec les étudiants le nombre et les détails précis des stages pour chaque région», a fait savoir notre source, tout en apportant un démenti catégorique aux allégations faisant état d’un encombrement dans les facultés. «Le ministère demande aux doyens de lui envoyer tous les jours des photos. Je peux vous dire qu’étant donné que la présence aux cours n’est pas obligatoire, les amphithéâtres sont quasi vides», assure notre source.

Alors que les étudiants s’apprêtent à boucler leur deuxième mois de débrayage, le ministère de l’Enseignement supérieur campe sur ses positions et ne compte pas céder sur un dossier qui relève, insiste-t-on encore, d’une «question de souveraineté nationale». Les prochains examens semestriels reprogrammés dans les prochains jours marqueront une étape décisive dans l’évolution de ce dossier. Selon nos informations, le département d’Abdellatif Miraoui, voulant éviter de reproduire l’épisode de 2019, a donné des instructions fermes aux doyens des facultés de médecine: désormais, toute absence injustifiée à l’examen sera sanctionnée par la note zéro.

Par Wadie El Mouden
Le 14/02/2024 à 12h01