Quel lien possible peut-il exister entre la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l'Afrique 2022 (TICAD 8), soit la grand-messe de la coopération entre le continent et le Japon qui s’est déroulée les 27 et 28 août 2022 à Tunis, et le Conseil de la Ligue des Etats arabes, réuni au niveau des ministres des Affaires étrangères, qui s’est tenu au Caire les 6 et 7 septembre derniers? A priori rien, le premier évènement intéressant l’Afrique et le second concernant le monde arabe et les préparatifs du prochain sommet de la Ligue Arabe, en principe prévu à Alger du 1er au 2 novembre prochain.
Mais c'est sans compter avec le «génie» de la Tunisie de Kaïs Saïed, qui, ne se contentant pas d’avoir réservé au chef d’une entité fantoche, soit la Rasd, les honneurs d’un chef d’Etat, provoquant le boycott par le Maroc de cet évènement et compromettant sérieusement ses relations diplomatiques avec le Royaume, a tenté d’imposer au Conseil des ministres arabes des Affaires étrangères un agenda foncièrement soumis au régime algérien. Comment? En proposant un paragraphe au rapport final du secrétaire général de la Ligue arabe, Ahmed Abou al-Gheït, dans lequel tous les pays arabes se devaient de féliciter la Tunisie de «la bonne tenue» de la TICAD et de «l’organisation exemplaire» de cette rencontre. Au nom de quoi? Des us et coutumes de la Ligue arabe où ce type de compliments passe généralement comme une lettre à la poste. Mais aussi, et surtout, dans le dessein à peine voilé de dire que l’évènement, auquel le Maroc n’a pas assisté, a été un franc succès. Mieux encore: la Ligue arabe se devait de féliciter la Tunisie pour la réussite d’un sommet au cours duquel le tapis rouge a été déroulé au chef du Polisario. Ç’aurait été là une première intrusion des séparatistes dans une forteresse qui leur est résolument hostile.
La manœuvre a été orchestrée par Othman Jerandi, ministre tunisien des Affaires étrangères, devant le regard complice de son donneur d’ordre, l’Algérien Ramtane Lamamra.
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«Pendant les deux jours qu’a duré la rencontre des ministres arabes des Affaires étrangères, ils (les membres de la délégation tunisienne menée par le même Jerandi, Ndlr) voulaient à tout prix introduire un paragraphe au rapport final félicitant la Tunisie pour la bonne tenue de la TICAD. L’objectif est de suggérer que le Maroc n’est pas soutenu et que les pays arabes sont unanimement derrière la Tunisie, malgré la décision marocaine de ne pas prendre part à la TICAD», explique une source informée.
Le pot-aux-roses étant un peu flagrant, la diplomatie marocaine a réagi en s’opposant fermement à toute mention de ce paragraphe. L’objection a été formelle. Le chef de la diplomatie tunisienne a essayé de tenir bon, insistant sur son paragraphe de félicitations. Il a alors demandé au Maroc d’apposer des «réserves» sur le paragraphe, objet du litige, comme «le fait l’Algérie quand la Ligue arabe loue le rôle du roi Mohammed VI, président du comité Al Qods». Nasser Bourita a opposé un niet sans appel au Tunisien, affirmant que le Maroc ne formulait pas de réserves, mais un refus catégorique à ce paragraphe qui ne passera pas en l’état.
Othman Jerandi a ensuite commencé à se lamenter sur les pratiques au sein de la Ligue arabe, en affirmant que la «petite Tunisie» n'était pas considérée. Devant son insistance à insérer son paragraphe de louanges à la Tunisie, Nasser Bourita a demandé le recours au vote. Une pratique très rare dans la Ligue arabe, et qui aurait nécessité des débats sur un laps de temps d'au moins une demi-journée. Sachant d’avance qu’en cas de vote, la Tunisie n’allait pas recueillir plus de cinq voix favorables (dont la sienne et celle de l’Algérie), Othman Jerandi a alors changé de ton.
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C’est alors que le ministre jordanien des Affaires étrangères, Ayman Safadi, a proposé une médiation entre le Maroc et la Tunisie. «Le point de vue du Maroc a été on ne peut plus clair: puisque nous étions dans le cadre de la Ligue arabe, si félicitations il devait y avoir, elles devaient concerner tous les pays arabes qui œuvrent pour le renforcement des relations avec le Japon», explique notre source. Exit les mots Tunisie, TICAD et Afrique, donc. La Tunisie de Kaïs Saïed a eu beau crier à la marginalisation, allant jusqu’à accuser la délégation marocaine de couper court à toute possibilité de réconciliation future entre Rabat et Tunis, elle a préféré éviter cette option humiliante d’un vote.
C’est suite à la médiation jordanienne que Ahmed Abou al-Gheït a affirmé que le Maroc et la Tunisie avaient trouvé un accord, laissant croire qu’il s’agissait d’une entente globale qui tourne la page de l’accueil de Brahim Ghali par le président tunisien. Alors qu’il n’en est rien. «Il n’y a pas eu de rencontre bilatérale entre le Maroc et la Tunisie au Caire mais une réunion élargie à l’initiative de la Jordanie pour régler la question du paragraphe», souligne notre interlocuteur. Les sujets de fond intéressant les deux pays et le grave écart commis par le président tunisien à l’occasion de la TICAD n’ont à aucun moment été évoqués. A constater l’attitude de la diplomatie tunisienne pendant la réunion du Caire, et son acharnement à faire accepter l’inacceptable, tout porte à croire que cette réconciliation n’est pas pour demain.