Apparences contre la modernité

Famille Ben Jelloun

ChroniqueLe jour où la religion sera considérée comme une affaire strictement personnelle, le jour où l’islam sera dans les cœurs et les mosquées, où il ne sera plus utilisé à des fins politiques, où il ne se mêlera plus des affaires publiques, ce jour-là, le Maroc entrera dans une modernité.

Le 25/02/2019 à 09h28

Au Maroc tout est affaire d’apparences. Pourvu qu’elles soient sauves, et tout est possible. C’est un constat que notre professeur de philo nous avait appris.

Cette dame avait marqué plusieurs générations d’élèves. Elle était exceptionnelle, malheureusement elle fut brutalement emportée par une attaque cérébrale au milieu de l’année scolaire. Mais son souvenir est resté vif. J’ai appris grâce à elle à mieux regarder la réalité.

Aujourd’hui encore, c’est sous cet effet, qu’il m’arrive de m’insurger contre les incohérences de notre société qui oscille entre plusieurs identités et orientations. Nous prétendons vivre en démocratie tout en votant pour un parti dont l’idéologie est issue de la foi religieuse. L’islam devient la toile de fond sur laquelle viennent se projeter les phantasmes d’un parti qui se méfie de la modernité tout en tenant compte des apparences, comme par exemple le cas de cette jeune députée qui a été prise en photo sans voile dans les rues de Paris.

La modernité: c’est le fait que tous les citoyens soient égaux en droit. C’est l’égalité de l’homme et de la femme devant le droit et la justice. C’est l’établissement d’un Etat de droit où n’interfère aucun élément étranger au droit le plus strict, aucun passe-droit, aucune faveur. C’est la justice, la même pour tous, quels que soient votre rang, votre classe sociale, votre fortune, votre appartenance politique ou votre façon de vous vêtir, etc. C’est l’émergence de l’individu, en tant qu’entité unique et singulière. C’est la base et la principale valeur de la démocratie.

La modernité implique une éthique, ce qui impose au citoyen le refus systématique de la corruption et le somme au respect de l’autre, quelle que soit sa différence. Elle lui dicte le respect des valeurs et des principes qui nous permettent de vivre ensemble dans une cohésion et des diversités essentielles. Cette éthique démocratique est un mode de vie au quotidien; elle commence à la maison dans les rapports avec le conjoint et les enfants, dans le voisinage, dans l’école, dans le travail, dans la rue. Chaque citoyen prend part à la consolidation de la modernité par son comportement où il a expulsé ses préjugés, son racisme et ses faiblesses, autrement dit, quand toute sa conduite est dictée par le principe du civisme.

Or tout cela est balayé d’un revers de main par le discours religieux où la raison a été remplacée par la foi avec cependant une référence à bien soigner les apparences. L’hypocrisie est bien plus tolérée que l’exigence d’une éthique qui fonde le bien vivre ensemble. Dénoncer par exemple la condition de la prostitution dans notre pays à travers un film ou un roman, est plus intolérable pour certains que la prostitution elle-même.

Si ce parti progresse et se répand dans les couches populaires, c’est parce qu’il travaille bien et sait comment s’adresser au peuple, chose que les partis traditionnels ne savent plus faire. Le PJD profite des failles et des faiblesses de ces partis et trouve un bon accueil auprès des personnes dont la culture principale vient de l’islam, même si cet islam est mal connu, mal expliqué, mal servi. Résultat, le peuple est souvent manipulé, pas tout le peuple, car malheureusement, dans sa majorité il ne se sent pas concerné par le cirque politicien et s’abstient au moment de voter.

Avant, les partis politiques traditionnels participaient à l’éducation du peuple, à lui désigner des voies, à lui donner des aspirations, à susciter en lui des volontés de progrès et d’épanouissement. Ce temps-là est révolu. Les partis n’ont plus d’importance et le peuple est abandonné à lui-même ; c’est pour cela qu’il entend le discours dans les mosquées et les diatribes des prêcheurs qui sévissent sur les télés des pays du Golfe.

Le jour où la religion sera considérée comme une affaire strictement personnelle, le jour où l’islam sera dans les cœurs et les mosquées, où il ne sera plus utilisé à des fins politiques, où il ne se mêlera plus des affaires publiques, ce jour là, le Maroc entrera dans une modernité qui le hisserait au niveau des grands pays à donner en exemple dans le monde arabe et musulman. La liberté de conscience sera la base du comportement du citoyen qui respectera la liberté du voisin pour qu’il puisse vivre en accord avec ses convictions, croyant ou pas, mais respectueux de tout ce qui n’est pas lui. Nous en sommes loin. Il ne faut pas désespérer mais rappeler cependant qu’un monde où les apparences comptent plus que la réalité est un monde voué à ne rien réussir de bon.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 25/02/2019 à 09h28

Bienvenue dans l’espace commentaire

Nous souhaitons un espace de débat, d’échange et de dialogue. Afin d'améliorer la qualité des échanges sous nos articles, ainsi que votre expérience de contribution, nous vous invitons à consulter nos règles d’utilisation.

Lire notre charte

VOS RÉACTIONS

La modernité reste avant tout le respect des points de vue d'autrui.

Les mots ne sont que des mots..Mais belles vérités que ne peuvent en tendre ceux qui ont la tête dans le sable... Bravo et respect.

Les mots ne sont que des mots..Mais très vrais pour qui ne se cache pas la tête dans le sable...Bravo et respect.

SAUF VOTRE RESPECT MONSIEUR BENJELLOUN LE MAROC REUSSIT BEAUCOUP DE BONNES CHOSES ET S EFFORCE D ESSAYER D EN REUSSIR BEAUCOUP D AUTRES LE PEUPLE MAROCAIN EST PARFOIS ANALPHABETE MAIS IL N EST PAS BETE LA RADIO MOHAMMED6 DU CORAN LA CHAINE 6 DE TELEVISION LUI PERMETTENT MEME S IL REGARDE LES TELEVISIONS DES PAYS DU GOLFE D ETRE SEREIN DE FAIRE LES CHOIX POSITIFS LES PARTIS DITS PROGRESSISTES DOIVENT S ADAPTER AUX MAROCAINS ET PAS LE CONTRAIRE ET LA REVOLUTION CULTURELLE DONT ILS PARLENT TANT SE FAIT TRANQUILLEMENT DEPUIS LONGTEMPS AU MAROC A LEUR INSU IL FAUT ETRE PLUS OPTIMISTE !

Monsieur Ben Jelloun, j'ai prélevé ces paragraphes pour me permettre de prendre position face a votre commentaire au sujet d'un Maroc que vous souhaitez ou voulez moderne. Je cite : "La modernité n'est ni un concept sociologique, ni un concept politique, ni proprement un concept historique. C'est un mode de civilisation caractéristique, qui s'oppose au mode de la tradition, c'est-à-dire à toutes les autres cultures antérieures ou traditionnelle" ceci est de Baudrillard, Brunn et Lageira. Quant à André Akoun, il nous rapporte ceci : "La notion de modernité est floue dans son extension, et incertaine dans sa compréhension. C'est une notion autoréférentielle et polémique (ce qui ne signifie pas qu'elle soit inutile ou superfétatoire). Elle ne se pose qu'en s'opposant à la tradition telle qu'elle-même la définit. Le Maroc est pieds et points lié aux 3/4 ancré a cette tradition voulue mais (je vous l'accorde) qui se réajuste en milieux citadins selon les circonstances et les croisements des vas et vient entre le Nord et le Sud, ceux du Nord se transforment aux grès des leur modernisme et non modernité quant a ceux du Sud, ils plagient d'une façon biaisée et souvent contre leur équilibre social, observez la jeunesse populaire marocaine et vous écrirez autrement. Monsieur T B, je préfère et de loin vos romans, là, vous n'y êtes pas

c'est également mon sentiment car une sorte d'incompréhension du message 'religieux' et de son interprétation divers, n'augure pas pour une sortie rapide du s/développement. L'hypocrisie et l'apparence mises en premiers -populisme certain - et la marginalisation des valeurs de travail, d'honnêteté, de véritable aide des nécessiteux -pas seulement par la charité- mais l'aide à se créer, à vivre, à être un citoyen utile pour soi et la société...la religion n'est pas idéologie et n'est pas un outil de politique, elle est et devrait être très haut dessus de son utilisation politique, la religion est une affaire propre à la sphère privé de l'individu et comme référentiel de ses principes de travail de créativité de solidarité- mieux assimilé et en tout cas ne pas intervertir sur la sphère politique.Le fait c'est que les 'frères' et 'sœurs' -l'une d'ailleurs récemment dévoilée est objet de parties pris parfois acerbes - ont été plébiscités pour être responsable du développement de ce pays. Le font -ils bien? A première vue avec bcoup de difficultés et de retards dans l'exécution des projets économiques, infrastructures et sociaux- éducatifs et d’incertitudes quant aux résultats .... Face aux difficulté des frères et soeurs (voilés impérativement car l'idéologie ne souffre pas de remise en cause aussi flagrante dans les faits ..le parti pris pour ce 'dévoilement' nous renseignera, sur ce point, de sitôt ).Aux autres partis d'être plus sérieux,aux leaders politiques de s'engager ainsi que les intellectuels, en s'ouvrant sur la jeunesse, pour un développement social inclusif, impliquant une croissance forte pour donner de l'emploi, une meilleur éducation, une culture accessible...

bien dit. bien pensé. bien agencé

Très bien dit.

0/800