En l’espace d’un peu plus de deux semaines, du lundi 11 au jeudi 28 avril, le chef d’état-major de l’armée algérienne, Saïd Chengriha a prononcé pas moins de 11 discours, retransmis à la télévision publique et repris par les médias proches du pouvoir. C’est-à-dire, à l’exception de deux ou trois titres, tous les médias algériens.
Les thématiques abordées à partir de différentes bases militaires, devant un auditoire en treillis et rangers, étant quasiment les mêmes, une seule sortie par visioconférence aurait suffi. Mais quand ce monsieur, âgé de 77 ans et atteint de plusieurs maladies chroniques vadrouille de la sorte entre plusieurs régions militaires, dont certaines en plein désert, c’est qu’il y a péril en la demeure.
Lors de sa première sortie chez le corps de la Défense aérienne du territoire, le lundi 11 avril, Chengriha a lâché une phrase qui en dit long sur le moral des nouvelles générations de cadres militaires, mécontents d’être concurrencés par une vieille garde inamovible.
«Nous voulons que les jeunes générations de demain aient foi en leur pays et ses capacités, entretiennent l'espoir en un avenir meilleur, œuvrent vers l'excellence professionnelle, basée sur la concurrence loyale. Nous voulons que la flamme de l'amour de l'Algérie et le sens du sacrifice demeurent vivaces dans les cœurs et les âmes. Dans ce cadre, je continuerai d'encourager la concurrence loyale parmi les cadres élites de l'ANP, de sorte qu'il n'y ait place que pour les plus compétents et les plus qualifiés, et de permettre de prendre des responsabilités dans tous les domaines du métier des armes et à tous les échelons de commandement. Mais ces responsabilités, aussi lourdes que sensibles, ne peuvent être assumées que par les plus émérites et les plus fidèles à l'armée», a déclaré Chengriha.
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Ces mêmes promesses à l’adresse de la jeunesse algérienne ont également été répétées le lendemain, lors de son passage par la 1ère région militaire. «Je suis profondément convaincu que chaque génération a son combat, si celui de vos pères et grands-pères était de libérer nos terres des affres du colonialisme, et si celui de vos frères et camarades était de faire face au terrorisme barbare, alors le vôtre, vous la jeunesse de l’ANP, et à travers vous les jeunes de toute l’Algérie, est de suivre la voie et de sauvegarder l’indépendance de la nation et sa souveraineté, ce qui représente un combat de conscience par excellence», a affirmé Chengriha, qui a ainsi tenté de dissiper le malaise des jeunes cadres militaires. Il a donc promis «l’amélioration des conditions de vie et de travail des personnels» en vue «de hisser le degré de vigilance et de veille et surmonter tous les défis au niveau de nos frontières nationales».
Or ces jeunes cadres militaires seraient en réalité offusqués, à l’instar de toute la jeunesse algérienne, d’être dirigés par une génération de vieux généraux, incompétents et corrompus, dont les mains sont, de surcroît, souillées par le sang algérien qui a coulé durant la décennie noire des années 90.
A ce sujet, Saïd Chengriha, ancien officier des forces spéciales au cours de cette période, a été accusé par des témoins oculaires, dont l’ancien officier parachutiste, Habib Souaidia, actuellement exilé en France et auteur de «La sale guerre, le témoignage d'un ancien officier des forces spéciales de l'armée algérienne» (Paris, 2001), d’avoir commis des crimes de guerre en 1994. Ce qui ne l’empêche pas de continuer aujourd’hui ses manœuvres insidieuses en diffusant de faux aveux de présumés terroristes. Une méthode que les Algériens qualifient de «Dahdouhisme», qui vise à terroriser les activistes du Hirak en qualifiant les plus irréductibles d’entre eux de terroristes. Objectif de cette manœuvre désespérée: annihiler, en les activistes du Hirak, toute velléité de contestation du pouvoir de la junte, en place depuis 60 ans.
Sachant que le peuple et le pouvoir se regardent en chiens de faïence, Chengriha se retrouve donc obligé de haranguer les Algériens à partir des seules casernes militaires, alors que Abdelmadjid Tebboune, qui a effectué plusieurs voyages à l’étranger, n’a jamais, en deux ans et demi à la présidence, osé quant à lui, visiter ne serait-ce que la plus petite et la plus paisible des communes algériennes. Une épreuve que le président algérien diffère constamment, de peur que même en redéployant massivement les forces de l’ordre, habillées en civil, lors de ce bain de foule tant attendu, les cris de «Tebboune l’usurpateur» ne transpercent son bouclier de protection.
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Face aux pénuries récurrentes, et à la flambée des prix des produits de base, Tebboune ne cesse de menacer les «spéculateurs» de lourdes peines de prison, alors que Chengriha s’évertue à mettre les Algériens en garde contre les influenceurs et l’usage des réseaux sociaux, comme il l’a d'ailleurs déclaré le 16 avril depuis la localité de Bordj Badji Mokhtar, près des frontières maliennes.
Preuve de l’hystérie du régime et de son incapacité à faire face à cette sourde contestation, le chef d’état-major n’a eu de cesse durant ses péroraisons de ce mois d’avril, d’appeler les Algériens à la vigilance. En multipliant ainsi ces appels à l'adresse des citoyens, Chengriha fait fonctionner à fond son levier de complotite aiguë en vue de semer la suspicion et la terreur dans le pays.
Selon lui, les Algériens «sont conscients que l’Algérie, grande de par ses positions immuables, n’a jamais été appréciée, ni elle le sera, par certaines parties conspiratrices, et que les tentatives de chantage, de déstabilisation et d’épuisement, auxquelles elle fait face, ne visent qu’à faire obstacles à ses potentialités et facteurs de sa puissance».
Les Algériens sont même invités à se substituer aux forces de l'ordre, manifestement dépassées par l’onde de choc de la colère encore cantonnée –mais pour combien de temps encore!– dans les réseaux sociaux. «Il revient au citoyen aujourd'hui, bien plus que par le passé, de faire preuve de discernement et de contribuer avec son grand sens patriotique à la préservation de la sécurité et la stabilité de notre pays, afin de déjouer toutes les tentatives des ennemis de la nation», a même supplié Chengriha dans une requête ahurissante le 21 avril dernier.
Est-ce le rôle des citoyens de «préserver la sécurité et la stabilité d’un pays»? Où sont passés les forces de l’ordre et l’armée? Que signifie cet appel au secours de Chengriha au peuple pour faire face à un ennemi imaginaire? Et surtout, que cache cet aveu de faiblesse de l’armée algérienne?