Quand le général Saïd Chengriha veut parler politique, il se fait organiser une «visite de travail et d’inspection» dans l’une des casernes militaires du pays. C’est en effet dans ces casernes que tout s’est toujours décidé en Algérie. Samedi dernier, 16 avril 2022, Chengriha était à Bordj Badji Mokhtar, dans l’extrême-sud du pays d’où il s’est attaqué aux influenceurs algériens et opposants politiques très actifs sur la toile.
Hier, mercredi 20 avril, c’est à partir du siège de la gendarmerie algérienne qu’il a fustigé une nouvelle fois les réseaux sociaux, vecteurs, selon lui, de prétendus complots qui viseraient l’Algérie.
Sans la citer, Saïd Chengriha surfe ainsi sur la polémique née d’insultes proférées par un imam de M’chedallah (Bouira), et relayées à grande échelle par les réseaux sociaux, contre des musiciens kabyles qui se préparaient à organiser un concert non loin d’une mosquée.
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Ni le ministère algérien de la Culture, ni celui des Affaires religieuses ou de l’Intérieur, directement concernés, n’ont encore réagi à cette affaire qui écume les réseaux sociaux en Algérie. Pire, la réaction est venue du chef d’état-major, et véritable maître du pays, le général Saïd Chengriha. Cette sortie de Chengriha coïncide aussi avec la date du 20 avril, une journée symbolique, voire sensible en Algérie, car commémorative de deux événements, à savoir les troubles sanglants du «printemps berbère» de 1980 et du «printemps noir de Kabylie» de 2021. D’ailleurs, selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), plusieurs étudiants ont été arrêtés à Tizi-Ouzou, mercredi, alors qu’ils comptaient manifester dans la rue pour commémorer ces deux évènements.
Ce n’est surtout pas pour défendre, loin s’en faut, les Kabyles que Chengriha s’est attaqué aux réseaux sociaux. Ces derniers ont toujours constitué sa bête noire, au point que tout indique qu’il pourrait procéder à leur interdiction pure et simple en Algérie, après avoir longtemps joué sur la lenteur du débit, l’un des plus faibles au monde, de l’internet local.
Pour Chengriha, les réseaux sociaux constituent un phénomène très «grave qui menace la paix sociale et l’ordre public et qui plus est, s’inscrit, à n’en point douter, dans le prolongement des conspirations qui se trament contre notre pays et qui visent à semer la discorde, à faire obstacle au développement, à distraire le peuple, voire à le diviser et provoquer son implosion, pour rendre, ainsi, plus faciles son infiltration, sa domestication et sa maîtrise».
Quand un chef de l’armée pointe les réseaux sociaux avec des qualificatifs («menace la paix sociale et l’ordre public») qui légitiment l’intervention des forces de l’ordre, cela laisse peu de doute sur ses intentions. Après avoir échoué dans sa guerre contre des influenceurs sur YouTube et Facebook, guère plus nombreux que les doigts d’une seule main, l’armée algérienne s’apprête à mener son ultime combat contre les réseaux sociaux qui visent, selon les mots de Chengriha, «à manipuler l'opinion publique, par la diffusion de tout ce qui peut créer la division et la zizanie entre les composantes des peuples, ce qui implique la fédération de tous les efforts pour détruire les germes de la fitna».
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Comment les stratèges de l’armée algérienne comptent-ils s'y prendre dans ce combat donquichottesque? Couper l’accès aux réseaux sociaux? Ralentir davantage le débit Internet, alors que l’Algérie est déjà classée parmi les cinq pays disposant de la pire connexion au monde? Construire de vastes camps de concentration pour rééduquer les Algériens en les sevrant de l’addiction aux réseaux sociaux? Toutes ces interrogations restent fondées, mais si on fait l’effort de comprendre les visées de Chengriha en se cramponnant, stricto sensu, à ses propos, on comprend qu’il est très dérangé «de voir les réseaux sociaux s’inscrire aveuglement dans la logique du tapage et de l’alarmisme médiatiques sur des phénomènes sociaux négatifs ou des actes isolés». C’est donc cela: ces maudits réseaux sociaux ne relayent que des nouvelles négatives. Et leurs utilisateurs sont des oiseaux de malheur qui n’annoncent jamais de bonnes nouvelles.
Il reste alors soit à lobotomiser les utilisateurs des réseaux sociaux de façon à ce qu’ils dépeignent en rose tout ce qui se produit en Algérie, soit à trouver le moyen de rendre périlleux l’usage de Facebook, Instagram, YouTube etc., qui, eu égard aux charges retenues contre eux par Chengriha, doivent au minimum valoir à leurs usagers plusieurs années de prison. Et c’est ainsi que va «l’Algérie nouvelle», vantée par le tandem Tebboune-Chengriha: l’un des très rares pays au monde, avec la Corée du Nord, qui veut soit interdire les réseaux sociaux, soit jeter en prison leurs utilisateurs qui ne tressent pas des lauriers au régime.