L’objectif affiché par l’administration américaine était simple. Les troupes américaines et la coalition internationale envoyées dans le désert irakien le 20 mars 2003 avaient pour ordre de mettre la main sur les prétendues armes de destruction massive du régime de Saddam Hussein. Mais d’armes de destruction massives, il n’y a jamais eu. En revanche, le dictateur au pouvoir depuis 1979 est renversé en un tournemain. A la place, George W. Bush s’échine à «imposer une démocratie libérale», comme l’explique à l’AFP l’analyste Samuel Helfont. Seulement, «les États-Unis ignoraient tout de l’Irak».
De fait, l’invasion a ouvert une boîte de Pandore. L’attentat contre un mausolée chiite de Samarra, au nord de Bagdad, le 22 février 2006, a donné le coup d’envoi d’une guerre civile d’une violence inouïe qui a duré jusqu’en 2008. De 2003 à 2011, année du retrait de l’armée américaine, plus de 100.000 civils irakiens ont été tués, selon l’organisation Iraq Body Count. Les États-Unis ont déploré près de 4.500 morts.
Mais le traumatisme le plus récent est l’occupation de près d’un tiers du territoire irakien par le groupe État islamique de l’été 2014 à décembre 2017, mois de la «victoire» militaire sur les jihadistes remportée par Bagdad et une coalition internationale.
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«En voie de démocratisation»
Au fil des ans, ces violences ont profondément altéré une société irakienne qui se distinguait par une grande diversité ethnique et confessionnelle. Frappée de plein fouet par des attentats durant la guerre confessionnelle, puis par les exactions jihadistes, la communauté chrétienne s’est réduite comme peau de chagrin, avec des vagues d’émigration successives. Tout comme les Yazidis, communauté pluricentenaire adepte d’une religion ésotérique monothéiste, ont été les victimes des crimes de l’EI, qualifiés de génocide par des enquêteurs de l’ONU.
De pays en guerre, l’Irak s’est fourvoyé dans l’instabilité. Les relations entre le Kurdistan d’Irak, région septentrionale qui tente d’obtenir toujours plus d’autonomie, et Bagdad se tendent régulièrement, notamment au sujet des exportations de pétrole. Et, fin 2019, d’énormes manifestations conspuant une corruption endémique, la «gabegie» et l’«ingérence» du voisin iranien ont été réprimées dans le sang.
Leur ont succédé les législatives anticipées d’octobre 2021. Les partis, ont mis un an avant de s’accorder sur un nouveau Premier ministre, au terme de luttes homériques ponctuées d’affrontements armés entre groupes chiites rivaux. Aujourd’hui, le chef du gouvernement Mohamed Chia al-Soudani dit à l’AFP vouloir s’attaquer à la corruption. Une tâche titanesque, car «la corruption est enracinée en Irak», comme le souligne le politologue irako-canadien Hamzeh Haddad. «On parle du vingtième anniversaire (de l’invasion, ndlr), mais tout Irakien vous dira que la corruption a commencé à prospérer à l’époque des sanctions» internationales contre le régime de Saddam Hussein dans les années 1990, rappelle-t-il.
«Après l’avoir combattu dans les années 1980, l’Iran est devenu après 2003 le voisin le plus proche de l’Irak.»
A cela s’ajoutent des infrastructures en déliquescence dans ce pays aux immenses réserves de pétrole. Les coupures de courant sont quotidiennes, les routes défoncées, la distribution d’eau aux abonnés absents... Un quotidien en forme de lutte, surtout pour le tiers des 42 millions d’Irakiens qui vivent dans la pauvreté. Mais, nuance Hamzeh Haddad, l’Irak «est un Etat en voie de démocratisation. Les gens ont tendance à oublier que vingt ans est une période très courte dans la vie d’un Etat».
Un exercice d’équilibre
Aujourd’hui, dans un Irak majoritairement chiite, «les partis politiques chiites sont toujours les acteurs les plus puissants», résume Hamdi Malik du centre de réflexion Washington Institute. Et, malgré leurs divergences, «les mouvements chiites soutenus par l’Iran ont réussi à maintenir une certaine cohésion» pour préserver leurs rapports, Téhéran «jouant un rôle crucial pour garantir que cette cohésion subsiste», souligne-t-il.
Car après l’avoir combattu dans les années 1980, l’Iran, grand ennemi de Washington, est devenu après 2003 le voisin le plus proche de l’Irak. Outre les échanges commerciaux et sa dépendance au gaz iranien, l’Irak compte plus de 150.000 anciens paramilitaires au sein du Hachd al-Chaabi, des factions armées pro-Iran désormais intégrées à l’Etat. Et avec des partis pro-iraniens dominant le Parlement et le gouvernement de Mohamed Chia al-Soudani issu de cette majorité, Téhéran consolide encore un peu plus son emprise sur l’Irak.
En décembre, le président français, Emmanuel Macron, plaidait pour que l’Irak s’engage dans une autre voie que celle d’un «modèle dicté de l’extérieur», sans toutefois désigner nommément l’Iran. Un diplomate occidental en poste à Bagdad se veut, lui, optimiste quant aux vues du Premier ministre Soudani. «Il essaie d’atteindre un équilibre dans ses relations avec l’Iran, ses voisins sunnites et l’Occident», dit-il sous couvert d’anonymat: «C’est un exercice très délicat».