La sortie d'une vingtaine de civils des sous-terrains de cet immense complexe industriel représente une grande première, toutes les précédentes tentatives d'évacuation ayant échoué, dans cette ville portuaire du sud-est presque entièrement détruite après des semaines de siège.
Le régiment Azov, qui défend cette zone industrielle, a parlé de «vingt civils, des femmes et des enfants». «Ils ont été transférés vers un endroit convenu et nous espérons qu'ils seront évacués vers Zaporijjia, sur le territoire contrôlé par l’Ukraine», a déclaré Sviatoslav Palamar, commandant adjoint du régiment dans une vidéo sur Telegram.
Quelques heures plus tôt, l'agence officielle russe Tass avait annoncé qu'un groupe de 25 civils, dont six enfants, avait pu sortir d'Azovstal, où sont terrés selon Kiev des centaines de militaires et de civils ukrainiens dans des galeries souterraines datant de l'époque soviétique.
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«Le régiment Azov continue de déblayer les décombres pour en sortir des civils. Nous espérons que ce processus va se poursuivre et que nous réussirons à évacuer tous les civils», a aussi avancé Sviatoslav Palamar.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky l'a évoqué dans son adresse vidéo de samedi soir en disant: «Nous faisons tout pour que la mission d'évacuation de Marioupol soit menée à bien».
Selon de nouvelles images satellite de Maxar Technologies prises le 29 avril, presque tous les bâtiments d'Azovstal ont été détruits.
Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, en visite à Kiev jeudi, a assuré de son côté que l'organisation faisait «tout son possible» pour évacuer les civils coincés dans «l’apocalypse» de Marioupol, qui comptait un demi-million de personnes avant l'invasion russe lancée fin février.
La prise totale de cette ville permettrait à Moscou de faire la jonction entre les territoires conquis dans le sud, notamment la péninsule de Crimée annexée en 2014, jusqu'aux républiques séparatistes prorusses de Donetsk et Lougansk, à l'est.
«Echiquier»C'est justement dans ce flanc oriental que l'armée russe, numériquement supérieure à son adversaire ukrainien et mieux dotée en artillerie, grignote du terrain, en cherchant à le prendre en étau depuis le nord et le sud afin de compléter son emprise sur le Donbass.
Il s'agit de la «deuxième phase» de «l'opération militaire spéciale» lancée le 24 février par la président russe Vladimir Poutine, après le retrait des forces russes du nord de l'Ukraine et de la région de Kiev, mises en échec.
«Ce n'est pas comme en 2014, il n'y a pas un front défini le long d'un axe», explique Iryna Rybakova, officier de presse de la 93e brigade des forces ukrainiennes, en référence à la guerre qui a opposé Kiev à des séparatistes prorusses dans cette région il y a huit ans et n'a jamais totalement cessé.
«C'est un village à eux, un village à nous: il faut plutôt visualiser un échiquier», poursuit la militaire. Et après deux semaines d'assaut russe, «nous ne sommes pour le moment pas en capacité de faire reculer l’ennemi».
Le président Zelensky a alerté la communauté internationale hier, samedi, sur le fait que les Russes «ont constitué des renforts dans la région de Kharkiv, essayant d'augmenter la pression dans le Donbass».Parallèlement, un haut responsable militaire ukrainien a dit samedi soir avoir informé le chef d'état-major de l'armée américaine Mark A. Milley de «la situation difficile dans l'est de notre pays, notamment dans les régions d'Izioum et de Sieverodonetsk, où l'ennemi a concentré l'essentiel de ses efforts et ses troupes les plus préparées au combat», deux villes situées à peu près dans l'axe Kharkiv-Lougansk.
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«Malgré la complexité de la situation, nous assurons la défense, maintenons les lignes de front et les positions occupées», a toutefois affirmé le général Valery Zaloujny sur la page Facebook de l'état-major militaire ukrainien.
Les quartiers nord-est de Kharkiv, deuxième ville du pays avec près de 1,5 million d'habitants avant la guerre, sont quotidiennement frappés par des roquettes russes, causant la mort de civils.
Mais la situation est parfois mouvante: Rouska Lozova, un village de quelques milliers d'habitants, situé à une vingtaine de kilomètres de cette métropole, a été repris vendredi par les forces ukrainiennes après deux mois sous occupation russe.
«Nous sommes restés dans les sous-sols sans nourriture pendant deux mois, nous mangions ce que nous avions», a dit à l'AFP un habitant de 40 ans, les yeux rougis de fatigue.
Côté armement, au milieu des grandes plaines vallonnées et des cités industrielles, le face à face se fait essentiellement à l'artillerie, «Déesse de la guerre» selon l'expression consacrée par Staline.
Johnson veut «renforcer l’Ukraine»Mais le rapport de force reste extrêmement favorable aux Russes, jusqu'à «cinq fois supérieur en termes d’équipement» selon Iryna Terehovytch, sergent de la 123e brigade ukrainienne.
Le soutien occidental représente dès lors un enjeu considérable, avec les Etats-Unis en pointe: leur président Joe Biden a demandé cette semaine au Congrès une colossale rallonge budgétaire de 33 milliards de dollars pour principalement livrer davantage d'aide militaire à Kiev.
Londres aussi affiche son aide. «Je me suis entretenu avec le président Zelensky pour présenter la manière dont le Royaume-Uni continuera à fournir une aide militaire et humanitaire pour donner aux Ukrainiens l'équipement dont ils ont besoin pour se défendre. Je suis plus déterminé que jamais à renforcer l'Ukraine et à faire en sorte que Poutine échoue», a tweeté le Premier ministre britannique Boris Johnson samedi soir.
Un peu plus tôt, Emmanuel Macron avait dit au téléphone à son homologue ukrainien que la France allait «renforcer» ses envois de matériel militaire à l'Ukraine -notamment des canons longue portée - pour en «rétablir la souveraineté et l'intégrité territoriale».
Le président français avait aussi dit que se poursuivrait «la mission d'experts français contribuant au recueil de preuves pour (...) permettre le travail de la justice internationale relatif aux crimes commis dans le cadre de l'agression russe».
Cela faisait suite à l’annonce hier, samedi, par la police de la région de Kiev de la découverte la veille de trois corps dans une fosse commune de Myrotske, un village proche de Boutcha, petite ville devenue le symbole des atrocités imputées à la Russie.
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Les trois hommes «avaient les mains liées, des vêtements autour du visage pour qu'ils ne voient rien et certains avaient des bâillons dans la bouche», selon la description faite par la police locale.
Volodymyr Zelensky avait chiffré vendredi à 900 le nombre de corps découverts dans la zone de Boutcha, et le parquet ukrainien a d'ores et déjà annoncé l'inculpation de dix soldats russes et le recensement de plus de 8.000 crimes de guerre en Ukraine.
Antonio Guterres, qui s'est rendu à Boutcha jeudi dernier, a exhorté Moscou à coopérer avec l'enquête de la Cour pénale internationale. Mais Moscou a nié toute responsabilité et parlé d'une «mise en scène». L'armée russe a par ailleurs frappé Kiev alors que le chef de l'ONU s'y trouvait, tuant une journaliste et déclenchant un concert de protestations internationales.