«Vous avez goûté les tomates soi-disant bio espagnoles? C’est immangeable!». Tenus sur la chaîne d’information BFM TV, ces propos de l’ex-candidate à la présidentielle et ancienne ministre de l’Environnement française Ségolène Royal ont tourné en boucle jeudi sur les télévisions espagnoles.
En cause, selon Mme Royal: un déséquilibre dans l’application des règles phytosanitaires européennes. «Le bio espagnol est un faux bio. Les fruits et légumes espagnols ne respectent pas les normes françaises», a-t-elle avancé, reprenant un reproche régulièrement formulé dans les manifestations par les agriculteurs français.
Ces déclarations ont suscité la stupéfaction en Espagne. «Nous ne pouvons pas permettre que des déclarations infondées ruinent tout un secteur», a réagi dans un communiqué l’association professionnelle espagnole de production biologique (Ecovalia), en rappelant que les mêmes règles s’appliquaient en France et en Espagne.
De tels propos sont «inappropriés», surtout de la part d’une personne qui a eu «des responsabilités gouvernementales», a souligné la ministre espagnole de la Transition écologique, Teresa Ribera. Le Parti populaire (PP, droite), principale formation d’opposition, a lui appelé à «défendre la production espagnole».
Interrogé après un sommet européen à Bruxelles, le Premier ministre socialiste Pedro Sánchez a ironisé, en estimant que Ségolène Royal n’avait «pas eu la chance de goûter aux tomates espagnoles». «Je l’invite à venir en Espagne (...) et elle verra que la tomate espagnole est imbattable», a-t-il insisté.
«Menaces» et «insultes»
Cette «guerre de la tomate», comme l’ont surnommé certains médias espagnols, a attisé le malaise en Espagne depuis le début du mouvement de colère des agriculteurs français. Ces derniers accusent l’Espagne d’inonder le marché hexagonal avec des produits à bas prix utilisant de grosses quantités de produits phytosanitaires.
Dans le cadre des manifestations en France, de nombreux camions venant d’Espagne ont en effet été pris pour cible ces derniers jours, notamment à la barrière de péage du Boulou, à quelques kilomètres de la frontière espagnole -des attaques filmées et relayées sur les réseaux sociaux.
«Ces jours-ci, les entreprises de transport routier et leurs chauffeurs professionnels font face à des situations de tension extrême» et à une «violence déchaînée», a dénoncé jeudi dans un communiqué la Confédération espagnole du transport de marchandise (CETM), l’une des principales organisations du secteur.
«Tous les jours, nos camions sont dévalisés et pillés (...) Les chauffeurs ont peur de circuler car les manifestants les menacent et les insultent», insiste l’organisation professionnelle, qui dénonce la passivité de la gendarmerie française face à ces multiples attaques.
Depuis Bruxelles, Pedro Sánchez a assuré avoir évoqué ce sujet avec le président français Emmanuel Macron. «Je pense qu’il est très important de respecter les manifestations pacifiques» mais il faut «condamner fermement tout type d’action violente», a souligné le responsable socialiste, en défendant la qualité de l’agriculture «made in Spain».
«Les produits espagnols ne bénéficient d’aucun avantage concurrentiel par rapport à d’autres produits sur le marché intérieur» européen, a-t-il insisté, en rappelant que «les mêmes règles» environnementales s’appliquaient «en France, en Espagne, au Portugal, en Italie, aux Pays-Bas et dans les autres» pays de l’UE.
Ces crispations n’ont pas empêché les trois principaux syndicats agricoles (Asaja, Coag et UPA) d’annoncer mardi qu’ils rejoignaient le mouvement de colère des agriculteurs européens, justifié selon eux au vu de la «bureaucratie étouffante générée par les réglementations européennes».
Parfois surnommée le «potager de l’Europe», l’Espagne est le premier exportateur européen de fruits et légumes. Le secteur agricole espagnol -l’un des plus gros consommateurs de produits phytosanitaires en Europe- y est néanmoins en difficulté, en raison principalement de la sécheresse qui sévit depuis trois ans dans le pays.