Tribune. Une superbe prétérition algérienne

Le général à la retraite Ali Ghediri lors d’une conférence de presse à Alger, le 27 janvier 2019.

Le général à la retraite Ali Ghediri lors d’une conférence de presse à Alger, le 27 janvier 2019.. AFP or licensors

TribuneJe vous conseille de copier et de garder par-devers vous la prétérition du général Ghediri et de la ressortir chaque fois qu’un Tebboune de rencontre se mettra à débiter ses bobards habituels sur l’Algérie «troisième puissance mondiale».

Le 09/12/2025 à 08h00

Du temps que j’enseignais la langue française du côté de Meknès, il m’arrivait d’étudier avec mes élèves une figure de style nommée «prétérition» ou «paralipse» ou «prétermission». Elle consiste à affirmer qu’on ne va pas parler de quelque chose, tout en le faisant effectivement: «Je ne dirai rien des crimes commis par Untel…». C’est très pratique, notamment pour éviter des poursuites judiciaires. On attire ainsi l’attention sur un sujet en faisant semblant de vouloir le passer sous silence.

Si j’avais à redonner mon cours, je donnerais comme exemple indépassable la prétérition du général Ghediri.

Mais d’abord, qui est Ali Ghediri? Né en 1954 à Ouenza dans l’actuelle wilaya de Tébessa, c’est un militaire et un homme politique algérien. Général-major, directeur des ressources humaines au ministère de la Défense nationale de 2000 à 2015, retraité à cette date, il se porta candidat indépendant à l’élection présidentielle algérienne de 2019. Mal lui en prit. On ne se déclare pas «indépendant» dans un pays où l’armée contrôle tout, surtout quand on y a fait sa carrière. Il fut arrêté en juin de la même année et son audace lui valut d’abord vingt-sept mois de détention préventive, puis une condamnation à six ans de prison. On le libéra le 12 juin 2025.

Ghediri avait aggravé son cas de deux façons. D’abord, il avait déclaré: «Je suis le seul général-major de l’institution militaire qui possède tous les diplômes requis». Ses pairs n’avaient pas apprécié… Et surtout, il avait composé une lettre publiée par El Watan le 22 novembre 2018 et qui constitue, à mon avis, une des plus belles prétéritions jamais proférées. Jugez-en:

«Pour ma part, je ne parlerai ni de l’érosion de nos valeurs, ni du désespoir de notre jeunesse, ni de la fragilisation des institutions, ni de l’état dans lequel se trouve l’école algérienne, ni de notre système de santé avec le surgissement de pathologies relevant d’autres âges, ni de l’insalubrité de notre environnement, ni de l’insécurité à laquelle sont exposés quotidiennement nos concitoyens, ni du trafic et de la consommation de drogues de plus en plus dures, ni du phénomène de la harga, ni de la dépréciation historique du dinar face aux monnaies nationales de nos voisins– encore moins face au dollar ou à l’euro–, ni du taux de chômage, ni de l’inflation galopante, ni de la fuite des cerveaux, ni du fléau endémique de la corruption qui ronge notre société et nos institutions, ni du népotisme, ni de la fraude électorale, ni des restrictions des libertés individuelles, ni de l’effilochement du lien social, ni du déphasage générationnel qui place dos à dos gouvernants et gouvernés, ni de la crise économique. (…) J’opte pour le silence».

On peut sourire en lisant cette dernière phrase qui constitue la conclusion d’un réquisitoire implacable, terrible, pour un régime qui a engrangé des centaines de milliards de pétro-dollars et de gazo-dollars depuis l’indépendance, il y a plus de soixante ans. Tout ça pour ça?

En tout cas, je vous conseille de copier et de garder par-devers vous ce que nous appellerons désormais «la prétérition du général Ghediri» et de la ressortir chaque fois qu’un Tebboune de rencontre se mettra à débiter ses bobards habituels sur l’Algérie «troisième puissance mondiale». Elle le refroidira instantanément– du moins, on peut l’espérer.

Par Sanaa Berrada
Le 09/12/2025 à 08h00