La guerre entre la Russie et l’Ukraine, soutenue par l’Occident, a surpris et même sidéré les pays du Sud. Une guerre qui a bouleversé le fonctionnement des économies et impacté la vie quotidienne en généralisant l’inflation partout dans le monde.
Les pays du Sud n’ont plus la triste exclusivité, au XXIe siècle, des guerres, des déplacements des populations et des malheurs du bellicisme. Une guerre imprévue au cœur de l’Europe a rendu le futur encore moins lisible.
Cette Europe, berceau de la civilisation occidentale, qui prône la démocratie et dont les peuples partagent un référentiel culturel nourri de valeurs chrétiennes... Par culture chrétienne, on entend ici une matrice identitaire européenne liée à une formation psycho-socio-culturelle et ce, au-delà de la croyance, ou non, des doctrines catholique, orthodoxe ou protestante ou de l’exercice des rites.
Face à ce conflit presque fratricide qui n’est même pas un conflit d’identités entre peuples de cultures différentes ou antagonistes (ce qui ne justifie rien!), on reste consterné. Deux pays dirigés par deux chefs d’Etat portant un prénom avec la même racine: Vladimir Poutine contre Volodymyr Zelensky. Le bilan est aujourd’hui de plus de 100 000 victimes de chaque côté.
«Entraîner le monde à sa perte»Depuis la fin de la Seconde Guerre, les Européens s’étaient engagés à ce que les canons ne tonnent plus dans leur continent. Ils pensaient que l’Europe était immunisée contre ce type de guerre du Moyen Age, qui ne pouvait advenir qu’ailleurs. Une guerre qui a mortifié et touché leur amour-propre. Ils pensaient avoir maîtrisé l’agressivité guerrière intra-européenne séculaire par les échanges économiques et humains, le commerce, la consommation et la prospérité partagée.
Face à cette nouvelle situation, issue encore de démêlés intra-européens, plusieurs voix du Sud, inquiètes, disent que «les Européens risquent d’entraîner le monde à sa perte».
Elles disent indifféremment Européens ou Occidentaux, qu’ils soient du camp de l’Ouest ou de l’Est. D’ailleurs, ce n’est que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et le début de la guerre froide que le camp de l’Est, mené par l’ex-URSS, a été exclu de l’Occident, mené par les Etats-Unis. Une exclusion évidemment politique.
Peu importe l’idéologie ou le système économique, ils sont nombreux à penser qu’ils sont tous Européens «querelleurs» appartenant à la sphère occidentale. D’autres ajoutent tous des «Gharbiyines», des «Roumis», et dont plusieurs sont «blonds aux yeux bleus».
Les notions d’Occident, d’Orient, de Civilisation et de Tiers monde sont employées selon les intérêts et aussi pour justifier des velléités de domination teintée de supériorité morale.
La notion d’Occident (le couchant) est plus d’ordre politique que géographique.
Un ethnocentrisme donneur de leçons de morale et d’humanismeD’ailleurs les Etats-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, peuplés de descendants de migrants européens, font partie de l’Occident et non, paradoxalement, les pays d’Amérique latine. Une notion qui répond donc surtout à des critères politico-idéologiques.
Cela peut aussi expliquer pourquoi un grand nombre de pays hésitent à prendre une position tranchée sur les responsabilités profondes de ce conflit. Ils sont aussi nombreux à exprimer leur trouble face à cet Occident pouvant, d’un côté, donner des leçons de morale ou d’humanisme, dans une position ethnocentriste, et, de l’autre, susciter des guerres avec des conséquences mondiales.
Et ils en sont aujourd’hui à taquiner l’histoire pour se diriger (et nous avec eux!) vers une troisième guerre mondiale où le possible emploi de l’arme nucléaire est devenu une option. L’arme nucléaire, à fonction dissuasive, qui était à l’origine censée rester une «arme de non-emploi».
Au cours de la réunion du G20 (ces 15 et 16 novembre à Bali, en Indonésie), Joe Biden et les alliés estiment que le sommet doit adresser un message clair à Vladimir Poutine sur le fait qu’«un conflit nucléaire est inacceptable». La menace est donc bien là. Charles Michel, président du Conseil Européen, a même qualifié la conjoncture de «moment brutal de l’histoire humaine».
Bien sûr, qui va nier l’apport décisif de ce même Occident en matière de recherche médicale dont toute l’humanité a bénéficié? En matière de sciences et de technologies qui ont rendu la vie plus confortable? En matière de réflexion philosophique, sociologique et psychologique, qui ont aidé à mieux connaître l’humain? Et aussi en matière culturelle et artistique… Sachant aussi que les Occidentaux ont bénéficié des apports et des transmissions d’autres cultures et civilisations, dont celle arabo-musulmane. Ce qu’ils ont souvent tendance à oublier!
Les guerres dévastatrices européennesMais parallèlement à ces formidables avancées, il y a aussi les dérives guerrières intra-européennes. Nous n’évoquerons pas ici les guerres coloniales et leurs séquelles toujours vives en Orient, en Afrique, et dont notre pays pâtit encore.
L’affrontement en cours a éveillé le triste souvenir des guerres dévastatrices en Europe. Ce n’est pas de gaieté de cœur que nous rappellerons de dramatiques pages de l’histoire avec de colossales pertes humaines pour les peuples d’Europe ayant vécu de terribles souffrances. Y compris les effets collatéraux pour d’autres peuples hors d’Europe.
Ils ont provoqué la Première Guerre «mondiale» (19 millions de morts), la Seconde Guerre «mondiale» (60 millions de morts). Le phénomène «stalinien», qui serait responsable de 17,5 millions de morts, le nombre réel étant probablement plus élevé… La guerre civile espagnole (plus de 500 000 morts)… Le conflit, dans les années 90 du siècle dernier, issu de la dislocation de l’ex-Yougoslavie (au moins 130 000 morts). Ces nombres, il faut le signaler ici, proviennent de recherches et de recoupements sur le net.
Faut-il remonter aux guerres de Napoléon (1800 et 1815) avec 700 000 morts du côté français et 2 millions de morts espagnols, italiens, russes, prussiens, anglais? Ou à la «Guerre de Cent ans» (1337-1453) qui a mis aux prises les peuples de France et d’Angleterre avec des milliers de villages rayés de la carte? Et aussi la «Guerre de 30 ans» (1618-1648), avec 8 millions de morts, provoquée par des conflits religieux entre protestants et catholiques, ayant impliqué plusieurs pays européens? Ce sont là de bien tristes épisodes de l’histoire.
Alerte à l’humanité: «coopérer ou périr»Enfin, et même si elle n’a pas de lien direct avec ces dérives guerrières, il est impossible de ne pas évoquer cette autre «alerte» qui interpelle l’humanité dans son ensemble. Celle de ces bouleversements climatiques provoqués par les «émissions» des pays nantis d’Occident, et avec eux, la Chine et le Japon, qui ont suivi leur modèle de développement.
Face à la crise climatique, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a estimé, au cours de la réunion de la COP 27 au Caire, qu’il était «inacceptable, scandaleux et autodestructeur que d'autres crises, notamment la guerre en Ukraine, aient relégué le combat pour le climat au second plan». Il a clamé que «l’humanité a un choix: coopérer ou périr. C’est soit un pacte de solidarité climatique, soit un pacte de suicide collectif».
Le lien est donc fait entre cette dispute absurde d’un autre temps en Europe et dont les motivations semblent dérisoires et cette grande menace qui pèse sur l’écosystème planétaire.
Aujourd’hui, plusieurs pays occidentaux ont annoncé, à la COP 27, vouloir accorder 100 milliards de dollars aux pays pauvres, pour les aider à lutter contre le réchauffement climatique. Mais tout cela reste en deçà de la formule de Guterres, «coopérer ou périr», qui doit englober tous les domaines d’interaction entre les peuples de la planète.