L’accord de paix signé au mois de novembre 2025 entre Paul Kagamé président du Rwanda et Félix Tshisekedi président de la République démocratique du Congo, sous la pression du président Donald Trump, n’aura pas vécu bien longtemps. Il est en effet passé de vie à trépas dans les jours qui ont suivi avec l’offensive du M23 dans la région du Sud-Kivu.
Point emblématique de cette offensive, début décembre, le M23 a pris la ville d’Uvira sur la rive nord du lac Tanganyika, juste en face de Bujumbura, la capitale du Burundi. L’armée congolaise s’est débandée avant de se réfugier au Burundi, cependant que les contingents de l’armée burundaise aventurés en RDC afin de tenter de freiner la déferlante du M23 firent de même.
Or, après Goma et Bukavu dans le nord Kivu, la prise d’Uvira, dans le Sud-Kivu est hautement symbolique. En plus de voir le M23 désormais maître de toutes les villes des deux Kivu, c’est ici, à Uvira, qu’en 1996, a débuté la guerre du Zaïre. Le symbole est fort car, dominant Uvira, le plateau de l’Itombwe qui forme la partie sud de la crête Congo-Nil, est la patrie des Banyamulenge. Or, ces Tutsi qui y vivent depuis plusieurs siècles, sont culturellement rattachés au Rwanda dont ils parlent la langue, le kinyarwanda. Ils tirent leur nom de la colline de Mulenge, d’où leur nom de Banyamulenge (ceux de Mulenge). Présents sur les hautes terres du nord-ouest du lac Tanganyika, ils forment une population d’environ un million d’âmes. Ils ont été renforcés par de nombreux réfugiés tutsi arrivés après la révolution hutu au Rwanda de 1959 quand, au nom de la démocratie, le colonisateur belge et l’église catholique mirent à bas la monarchie tutsi, provoquant ainsi le chaos régional.
«Le maréchal Mobutu exigea en effet leur départ, ce qui fut compris par les autres ethnies de la région comme un blanc-seing permettant de les attaquer, de piller leur bétail et de violer leurs femmes.»
— Bernard Lugan
Le problème fut alors de savoir si ces Banyamulenge étaient congolais ou rwandais. Les législations les concernant furent alors contradictoires et incohérentes, leur reconnaissant ou au contraire leur retirant tout ou partie de leur nationalité congolaise (lois sur la nationalité de 1972, puis de 1981) et de leurs propriétés (nouveau droit foncier, loi de 1973, puis de 1982).
Le président Mobutu les naturalisa en 1972 pour les remercier de leur participation au combat contre les rebelles mulélistes, ce qui provoqua bien des tensions avec les autres populations de la région qui, elles, avaient au contraire soutenu le mouvement muléliste, et qui les considéraient comme des étrangers. Puis, en 1981 la nationalité zaïroise leur fut retirée.
En 1994 après la victoire des Tutsi du général Kagamé au Rwanda, leur situation devint intenable. Craignant de voir en eux une «5ème colonne» de Kigali, le maréchal Mobutu exigea en effet leur départ, ce qui fut compris par les autres ethnies de la région comme un blanc-seing permettant de les attaquer, de piller leur bétail et de violer leurs femmes. C’est alors que le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi, trois pays alors dirigés par des Tutsi ou apparentés– le Burundi ne l’est plus aujourd’hui–, décidèrent de renverser le maréchal Mobutu. Fer de lance de cette opération, les Banyamulenge s’allièrent alors à Laurent-Désiré Kabila, leur ancien ennemi muléliste, qui était entretemps devenu l’allié du régime tutsi du Rwanda.
Le 14 septembre 1996, les Banyamulenge repoussèrent l’armée zaïroise et ils prirent Uvira. Au même moment une triple offensive victorieuse était lancée par les armées du Burundi, du Rwanda et de l’Ouganda. La conquête du Zaïre se fit alors dans le prolongement de la campagne du Kivu. À la fin du mois de mai 1997, le maréchal Mobutu fut chassé du pouvoir, Laurent-Désiré Kabila lui succéda, et le Zaïre redevint République démocratique du Congo (RDC).
Depuis 1996, le Rwanda occupe le nord Kivu à travers des milices tutsi. Désormais, c’est le Sud-Kivu qu’il vient de conquérir. Le fond du problème est que le Rwanda considère la région comme son prolongement naturel. D’autant plus que son sous-sol contient des minerais rares, dont le coltan, et qu’étant surpeuplé, le pays va droit au collapsus si, d’une manière ou d’une autre, il ne déborde pas vers les régions peu peuplées du Kivu congolais.
Trois décennies après le soulèvement de 1996, avec la prise d’Uvira par le M23, nous voilà revenus aux causes profondes de la déstabilisation régionale avec ses deux tendances lourdes et contradictoires à la fois:
-Kinshasa veut reprendre le contrôle des deux Kivu, mais en est pour le moment militairement incapable.
-Kigali cherche à faire passer toute la région dans sa zone d’influence.





