«Savoir qu’on n’a plus rien à espérer n’empêche pas de continuer à attendre»… Ce 26 février, la conférence de presse du Premier ministre français François Bayrou avait des accents proustiens, l’agrégé de lettres classiques s’évertuant pendant de longues minutes à justifier l’attente -infligée comme une souffrance aux ministres qui l’encadraient- de quarante-cinq jours, avant que les droits exceptionnels, et exorbitants du droit commun, accordés aux ressortissants algériens dans le cadre d’accords bilatéraux datant de 1968 et de diverses conventions ultérieures, ne soient éventuellement remis en cause.
Quarante-cinq jours donnés au gouvernement algérien pour qu’il accepte, comme une preuve concrète de son attachement à cet accord historique, la réadmission d’une trentaine de ressortissants frappés d’une OQTF -une «liste d’urgence» déjà soumise en 2023, sur laquelle figurait en bonne place le terroriste auteur de la récente attaque au couteau. Quarante-cinq jours? Insignifiant, à l’échelle de l’histoire et d’une relation franco-algérienne longue et complexe. Citons De Gaulle en 1960: «Et l’Algérie? Ah, je n’ai jamais cru que je pourrais, d’un instant à l’autre, trancher ce problème posé depuis 130 ans.» Mais quarante-cinq jours qui s’ajoutent à cent autres, c’est déjà trop pour l’otage Boualem Sansal, malade et objet d’une «détention arbitraire», selon les mots justes du président Macron.
Six semaines donc, mais pour quoi faire? Puisqu’Alger a répliqué dans l’heure. D’abord par la voix de ses parlementaires et un Conseil de la Nation prononçant la «suspension immédiate de ses relations avec le Sénat français, y compris le protocole de coopération parlementaire signé entre les deux chambres le 8 septembre 2015» -une réponse à la fois au déplacement du président du Sénat à Laayoune et aux annonces du Premier ministre. Puis le lendemain, par un communiqué du ministère des Affaires étrangères annonçant le «rejet de tout ultimatum et menaces», induisant de facto le refus de tout laisser-passer consulaire pour les individus particulièrement dangereux ciblés par Paris, transformant ce compte à rebours en bombe à retardement!
«L’audace et la volonté politique sont aujourd’hui plutôt à chercher du côté des parlementaires européens, qui portent l’idée d’une conditionnalité des financements européens vers Alger.»
Que ces six semaines soient donc pleinement mobilisées pour trouver, à Bruxelles, un soutien et des relais. La période est heureusement propice: c’est aussi celle de la renégociation de l’accord d’association UE-Algérie, de l’écriture d’un Nouveau Pacte pour la Méditerranée impliquant tous les pays du voisinage… La France a-t-elle d’autres choix? In fine, pour dénouer cette crise conjugale paroxysmique, quel autre médiateur que l’UE ou l’un de ses membres?
Que peut espérer le gouvernement français de la part des Européens? Remonter le temps de la relation UE-Algérie, ne serait-ce que sur la dernière mandature, c’est faire le constat de l’impuissance de la Commission européenne, face à un gouvernement algérien qui pousse le culot jusqu’à exiger la révision du partenariat après avoir régulièrement contrevenu aux termes de l’Accord d’association signé en 2005, qu’il s’agisse du non-respect des engagements commerciaux, ou de la lutte contre la migration irrégulière et de la coopération en matière de retour et de réadmission.
L’audace et la volonté politique sont aujourd’hui plutôt à chercher du côté des parlementaires européens, qui portent -timidement- l’idée d’une conditionnalité des financements européens vers Alger, liant ces aides aux progrès en matière de droits de l’Homme -telle la résolution de janvier 2025-, ou interpellent, comme la député Morano en février, la Commission sur la subordination de tout financement européen aux engagements en matière de réadmission des migrants irréguliers, et appellent massivement à la libération de Boualem Sansal sans conditions.
Reste à Paris à convaincre rapidement des États membres -à commencer par ses précieux voisins du Sud, Madrid, qui a finalement calmé le courroux d’Alger sans renier son soutien à la marocanité du Sahara, et Rome, pouvant se vanter à la fois de sa relation privilégiée avec Alger et d’un leadership européen en matière migratoire- de l’aider à communautariser quelques mesures fortes, afin d’accentuer la pression sur l’Algérie. Un test aussi pour le groupe informel «Med9», et l’opportunité que se fasse entendre la voix singulière des neuf pays du sud de l’Europe.
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