Dans un article paru dans les colonnes du New York Times, daté du 17 octobre 2022, on apprend que sur les 24 crânes restitués par la France au régime algérien le 3 juillet 2020, six seulement pourraient appartenir à des résistants algériens du XIXe siècle. Les 18 autres crânes seraient ceux de harkis, ces auxiliaires algériens qui ont servi l’armée coloniale, d’anonymes ou de simples bandits exécutés ou guillotinés par les colons français.
C’est à cette conclusion qu’ont abouti des investigations du journal américain, menées sur des documents officiels ainsi que des données scientifiques consultées au Musée national d’histoire naturelle et au Musée de l’Homme. Là sont en effet répertoriés et exposés 18.000 crânes et restes mortuaires, originaires des nombreuses colonies françaises à travers le monde -dont 300 crânes seraient en provenance d’Algérie.
Comment le NYT a-t-il pu alors savoir que certains des 24 crânes algériens restitués seraient ceux de harkis ou voleurs? En mettant la main sur le texte de l’accord confidentiel signé par les deux gouvernements, algérien et français, le 26 juin 2020, et qui comprend en annexe les noms accolés à chaque crâne restitué, le journal a pu facilement identifier les «non-héros».
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La présence de crânes des non-Moudjahidine est même confirmée par le média du général à la retraite Khaled Nezzar qui a été, en vrai, le premier à révéler le pot-aux-roses. Dans un article antérieur à celui du New York Times, publié le 16 septembre, Algeriepatriotique s’émouvait que parmi «les crânes rapatriés le 3 juillet 2020, deux sont ceux de harkis». Il faut savoir que ce terme est la pire insulte en Algérie, un pays qui fonde à la fois sa légitimité et son pouvoir sur la mémoire des «chouhadas» -ceux qui combattu l’armée française et ses auxiliaires indigènes, les harkis.
Relatant d’autres révélations faites à cet effet par un historien et anthropologue algérien, Ali Farid Belkadi, également cité par le New York Times, le «média» de Nezzar crie au sacrilège, car «deux tirailleurs, mercenaires indigènes opposés au mouvement national, morts les armes à la main pour la France, ont été enterrés au Carré des martyrs du cimetière d’El-Alia le 5 juillet 2020, parmi nos braves, héros martyrs de la résistance à la colonisation…». Ces deux harkis sont formellement identifiés comme étant Amar Ben Soliman et Belkacem Ben Mohamed El-Djennadi.
D’ailleurs, si l’on revient à tout le tapage médiatique ayant accompagné, en Algérie, la restitution de ces crânes, on est étonné de voir que les autorités algériennes, tout en affirmant disposer de la liste complète des noms de ces 24 Moudjahidine, n’ont décliné que six noms seulement. Ce qui corrobore les investigations menées par le New York Times.
Les dépêches de l’agence de presse officielle, APS, ne citent, nommément, que six «héros de la résistance algérienne contre le colonialisme français, à l'instar de Mohammed Lamjad Ben Abdelmalek dit Chérif Boubaghla (1854), Cheikh Bouziane des Zaâtchas (1849), Moussa El-Derkaoui, son conseiller militaire, et Si Mokhtar Ben Kouider Al-Titraoui. Il s'agissait également de la tête momifiée d'Aïssa El-Hamadi, qui fut le lieutenant de Cherif Boubaghla et le moulage intégral de la tête de Mohamed Ben-Allel Ben Embarek, lieutenant de l'Emir Abdelkader».
Pourtant, le ministère français des Affaires étrangères a confirmé au New York Times que la liste complète identifiant les 24 crânes a été «approuvée par les deux parties» le 26 juin 2020. C’est d'ailleurs dans cette liste que «se trouvaient des voleurs emprisonnés et trois fantassins algériens ayant effectivement servi dans l'armée française», précise le journal américain, qui l’a consultée.
Ce sont ainsi ces harkis et des bandits, très majoritaires sur cette liste, qui ont été récupérés de Paris par des avions militaires algériens, avant d’être accueillis avec tous les honneurs à l’aéroport Houari Boumédiène, le 3 juillet 2020, par le duo Abdelmadjid Tebboune-Saïd Chengriha, respectivement chef de l’Etat et chef d’état-major de l’armée algérienne. Les 24 cercueils ont été recouverts du drapeau national algérien. Le 5 juillet 2020, à l’occasion du 58e anniversaire de l’indépendance du pays, ces restes des six Moudjahidine et 18 autres Harkis et voleurs ont été enterrés au cimetière d’El Alia, le Panthéon algérien, toujours en présence de Tebboune et Chengriha et de l’aréopage des personnalités civiles et militaires que compte l’Algérie.
Lors de la récente visite à Alger de la première ministre française, Elisabeth Borne, les 9 et 10 octobre courant, son homologue algérien, Aymen Benabderrahmane, n’a-t-il pas salué à son tour, comme un geste fort ayant cimenté les relations franco-algériennes, le rapatriement des 24 crânes algériens en juillet 2020?
Dans son article intitulé «La France a restitué 24 crânes à l'Algérie, mais ils n'étaient pas ce qu'ils semblaient», le New York Times pointe du doigt «des arrangements diplomatiques bâclés». Selon ce média, «la restitution des restes, qui appartiendraient à des résistants du XIXe siècle, a été saluée comme un symbole de réconciliation (entre Paris et Alger, Ndlr), mais des documents obtenus par le Times révèlent un geste embrouillé par la politique». En d’autres termes, dans ce marché de dupes, on retrouve une France qui se gausse d’un régime algérien trop crédule, obnubilé qu’il est par la «rente mémorielle», selon les termes employés par le président français Emmanuel Macron.
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Interrogée par le New York Times, Christine Lefèvre, qui supervise le Musée de l'Homme, reconnait, parlant des 24 crânes, qu'«il est clair qu'ils ne sont pas tous des combattants… Il y a des enjeux politiques qui échappent à notre contrôle».
Pour sa part, Pierre Ouzoulias, sénateur français, explique au New York Times que quand Macron cherchait à tendre la main aux Algériens, «il y avait les crânes, il les a utilisés pour ça».
Extrêmement embarrassé par ces révélations fracassantes du journal américain, le régime algérien choisit le silence. Il a même mandaté ses relais médiatiques pour dénoncer une «manipulation médiatique», et un complot du Makhzen, pour souiller la mémoire des chouhadas. Le ministère algérien des Moudjahidines, prompt à réagir dans ce genre de dossiers, observe également un mutisme assourdissant.
Regarder ailleurs est une solution provisoire qui ne résistera pas à la pression des Algériens. Il faudra bien se résoudre à laver l’affront d’honorer des harkis au panthéon que le régime réserve à ses héros.