Négociations d’Évian: ce que cachent les accords avec Boumediene

Jillali El Adnani.

Jillali El Adnani.

ChroniqueLoin du récit officiel d’une indépendance arrachée par le peuple algérien, les documents et archives révèlent une réalité plus nuancée. Derrière les accords d’Évian, la France et le FLN ont façonné une transition où le contrôle de l’ancienne puissance coloniale restait intact, notamment sur le Sahara et ses ressources stratégiques tandis que le FLN évinçait le GPRA et consolidait son autorité.

Le 16/03/2025 à 10h55

Le document ci-dessous résume en une demi-page la vision FLN-France sur la décolonisation sous souveraineté française, et surtout sur la composition et la nature de l’exécutif provisoire qui se substituera au Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA):

«Un compromis serait sans doute possible entre le point de vue du FLN et la thèse française. Il doit répondre aux conditions suivantes:

L’autodétermination est mise en œuvre dans le cadre de la souveraineté française;

L’administration française ne peut être frappée d’une suspicion générale et livrée à l’arbitraire de l’exécutif provisoire.»

Le même texte annonçant la souveraineté française et la question de l’indépendance de l’Algérie précise le rôle du délégué général français, qui sera peut-être le président ou non de l’exécutif provisoire qui remplacera le GPRA:

«Le délégué général, dépositaire des pouvoirs de la République, doit d’une part conserver des pouvoirs propres et, d’autre part, être associé aux décisions de l’exécutif provisoire de telle manière qu’il puisse, au besoin, faire obstacle à ses décisions susceptibles de compromettre les intérêts permanents de la France en Algérie.» (Document France-FLN, Dossier Chayot, La Courneuve, SEAA, Carton 125, 1959-1967, p. 8)

Les concessions de l’Algérie lors des négociations secrètes expliquent l’agressivité du régime envers les Pieds-noirs aussitôt l’indépendance acquise. Mais face à l’énormité des concessions, notamment en matière des hydrocarbures, le président Boumediene a dû nommer Mohamed Bedjaoui en tant qu’ambassadeur d’Algérie à Paris en 1970 en lui signifiant qu’il serait chargé de mener en métropole «un nouveau front». Ce diplomate chevronné, semblant encore s’agiter à l’ombre de la souveraineté française imposée depuis Évian sous des formes déclarées ou enfouies, reconnaît dans ses mémoires qu’en 1970, «les temps étaient mûrs, huit ans après l’indépendance politique, pour réussir un “Évian II”, procurant à l’Algérie une maîtrise de ses richesses naturelles, en particulier de ses hydrocarbures. En m’enlevant de son gouvernement, où j’assumais la charge du département de la Justice, le président Boumediene ne m’avait pas caché, dès juillet 1970, sa volonté de m’envoyer « au front », c’est-à-dire à Paris pour lui». (Mohamed Bedjaoui, «En Mission extraordinaire. Carnets d’un ambassadeur d’Algérie en France» (1970-1979), Paris, L’Harmattan, 2016, p.22)

Les mailles de la souveraineté française: entre FLN, GPRA et populations algériennes

Les négociations d’Évian n’ont jamais été faites au nom du GPRA ni au nom du FLN représenté par ses multiples composantes. Ce fut le triomphe depuis les barbelés de la frontière algéro-marocaine du clan d’Oujda. La souveraineté française et le rôle des négociateurs dans le déroulement des débats, signature du cessez-le-feu et indépendance, s’avèrent cruciaux. La mise à l’écart du GPRA par le FLN et le clan d’Oujda est une idée bien française pour asséner un coup fatal au gouvernement provisoire de la république algérienne. C’est à partir de là que la souveraineté française a tourné en plein régime et a pu réaliser les plus importantes revendications. Le GPRA allait devenir pour les Français un comité à la frontière pour veiller au recensement et au retour des réfugiés du côté de la Tunisie et du Maroc comme le prouve le texte des accords publié en 1962.

Ceci montre à quel point l’indépendance de l’Algérie n’a été obtenue ni au nom d’un peuple algérien ni au nom d’une souveraineté réelle sur le territoire. Les slogans politiques relèvent d’un registre différent de celui de la négociation et de la voie suivie par le FLN pour l’exclusion du droit des populations à l’autodétermination et l’annexion des deux départements du Sahara.

Tout au long des négociations d’Évian, dans aucun texte ou note, la France n’a parlé de peuple, mais elle utilisait plutôt l’appellation de populations algériennes. Le handicap dont souffre l’histoire de l’Algérie est celui de l’unité territoriale et de la cohésion des populations. Le recours et l’adoption du principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation en sont le symptôme et l’unique réalisation. L’unité recherchée à la suite de la guerre d’indépendance lancée depuis 1954 a souffert de la sourde oreille des populations du Sud qui n’ont jamais exprimé le sentiment d’appartenir à cette Algérie maghrébine comme elle a été nommée dans les notes relatives aux négociations d’Évian notamment dans le dossier personnel du juriste Chayot, un expert juridique qui a participé aux négociations d’Évian (Secrétariat d’État aux Affaires algériennes, La Courneuve, SEAA, Carton 125, 1959-1967).

C’est à la suite de ces négociations que l’Algérie a réussi à s’exprimer par un référendum accordé par le peuple français le 8 janvier 1961 et qui ouvre une voie à l’indépendance de l’Algérie.

Cependant, les archives secrètes montrent que jusqu’en 1962, la France compte bel et bien organiser un référendum octroyé par le peuple français aux populations de l’Algérie, mais en faveur de deux territoires distincts:

L’Algérie maghrébine d’une part, et le Sahara composé des départements de la Saoura et des Oasis (Touat, Gourara, etc.). Ces deux départements ne furent rajoutés qu’à la suite de cette déclaration tonitruante du négociateur algérien Saâd Dahlab qui fait suite à celle du 26 octobre 1961, et résume la fin des négociations, sanctionnées le 18 mars 1962 par la signature des accords d’Évian:

«Le FLN a soulevé le problème de l’intégrité territoriale de l’Algérie. Contestant avec force la position française suivant laquelle l’autodétermination et ses conséquences devaient s’étendre seulement aux treize départements de l’Algérie maghrébine, il a fait de l’extension du scrutin aux quinze départements, y compris ceux de la Saoura et des Oasis, un « préalable » à l’étude des autres rubriques figurant à l’ordre du jour arrêté d’un commun accord. Or nous avons, quant à nous, toujours déclaré que la question de souveraineté n’était pas l’essentiel, dès lors que nos intérêts au Sahara et nos libertés de communication avec l’Afrique noire étaient sauvegardés.» (ibidem)

Tant pis pour les pays riverains et surtout le Maroc, la question de souveraineté n’était pas l’essentiel pour la France, le plus important était la reconnaissance par l’Algérie des avantages économiques et militaires. De même pour l’Algérie, la question de l’autodétermination n’était pas cruciale, notamment des populations algériennes, mais l’indépendance négociée. Selon les notes du dossier Chayot: «Pour le FLN, la méthode de l’autodétermination n’est pas essentielle. Elle constitue un moyen pour arriver à l’indépendance.»

Cette déclaration fait écho à l’objectif du FLN d’organiser en même temps et sur tout le territoire (Algérie et Sahara) un référendum. Cela signifie que les huit millions d’habitants répartis sur un tiers du territoire, soit treize départements, décideront de l’avenir du Sahara, qui, bien que représentant les deux tiers du territoire, ne compte que 300.000 habitants répartis sur deux départements. Ainsi, la mise fut entièrement emportée!

L’autodétermination est donc une voie royale pour l’indépendance sachant que les populations du Sahara n’ont aucun lien sociologique et politique avec les populations du Nord.

Faut-il rappeler les manœuvres algériennes au sein de l’OUA et à l’ONU pour l’organisation du référendum dans un territoire vital, depuis plus de douze siècles, pour la société, l’économie et l’avenir du Maroc? Et dont les tribus sahraouies ont toutes un prolongement dans le Nord. Alors que les Touaregs, les Chaânbas et même les Reguibat de l’Est n’avaient aucun droit de voter selon un référendum libre sur la question de l’intégrité territoriale de l’Algérie.

Les négociations et les accords d’Évian

Il y a eu plusieurs phases et péripéties dans les négociations d’Évian qui se sont soldées par un accord ou plutôt des accords. Le texte qui a été publié dans le journal Le Monde du 20 mars 1962 n’est pas le même que celui publié par le journal algérien El Moujahid le 19 mars 1962. Le texte algérien, bien que les négociateurs à l’instigation de Houari Boumediene en accord avec les négociateurs français, ont «liquidé» le GPRA, porte la mention de «Gouvernement provisoire de la république algérienne». Le texte d’El Moujahid contredit le texte français qui reflète la réalité et qui affirme que c’est le FLN qui a traité avec le gouvernement français et non le GPRA dont la représentativité, a été tout au long des négociations, niée par la France.

La mise à mort du GPRA lors des négociations

Il faut rappeler que la mise à mort du GPRA par la France et le FLN est en partie due à l’obstacle que constitue le traité du 6 juillet 1961 signé entre le roi Hassan II et Ferhat Abbes, le président du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA). Ce traité aurait dû changer le cours de l’histoire, et éviter des décennies de mensonges et de trahison. Cet accord a été rendu caduc et quasiment inexistant après Évian puisque la France a pu négocier en toute quiétude le troc entre ses intérêts économiques et militaires contre la souveraineté de l’Algérie sur le département de la Saoura et celui des Oasis. Cette éviction du GPRA contribue surtout à la création de l’exécutif constitué de représentants du FLN et de la France pour la gestion des affaires publiques après le cessez-le-feu et la période transitoire. Cet exécutif, comme l’atteste le document ci-dessous, montre que la France cherchait à mettre en œuvre un programme de coopération avec l’Algérie qui garantit à long terme ses intérêts stratégiques au Sahara et en Afrique noire:

L’indépendance de l’Algérie est donc un compromis entre le FLN et les négociateurs français comme l’a annoncé en conclusion le rapport de Chayot: «Les observations qui précèdent font apparaître clairement que les thèses respectives de la France et du FLN dominent, au moins dans une certaine mesure, l’avenir de l’Algérie et l’orientation des négociations.»

Cette assertion montre bel et bien, la voie suivie par les négociateurs algériens et français pour pratiquer «une décolonisation du compromis» et qui vise en grande partie la légalité du GPRA, des maquis à l’intérieur de l’Algérie et surtout les droits historiques du Maroc sur le département de la Saoura.

De quelle décolonisation et de quel peuple parle-t-on?

À la recherche d’un peuple pour le Sahara occidental, l’Algérie n’a pu s’en «inventer» un qu’en 1973 avec la création du Polisario.

Le texte officiel qui annonce l’organisation du référendum du peuple français est ainsi fait: «Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et concernant l’autodétermination des populations algériennes et l’organisation des pouvoirs publics en Algérie avant l’autodétermination?» (Journal officiel du 15 janvier 1961, p.71)

Cette annonce résume les deux grands objectifs des négociateurs français: jouer la carte des populations au lieu de «peuple» et la volonté de mettre en place un exécutif pour neutraliser le Gouvernement provisoire de la république algérienne.

Dans le dossier personnel de Chayot et surtout les instructions, notes et études (juillet 1961-janvier 1962) concernant les négociations d’Évian, il y a des vérités qui annoncent la nature et l’âme même du pouvoir algérien. Saisir ses traits depuis 1961-1962 donne cette opportunité de mieux appréhender les acrobaties diplomatico-militaires que mène l’Algérie à la suite de l’élection du président américain Donald Trump. Comme en 1962, l’Algérie par la voix de son ambassadeur à Washington, Sabri Boukadoum, qui est aussi ancien ministre des Affaires étrangères, n’a cessé d’invoquer la formule d’Ali Baba: sous-sol saharien ouvre-toi! La souveraineté a toujours été peu de chose pour un très jeune régime qui cherche surtout à se perpétuer.

Par Jillali El Adnani
Le 16/03/2025 à 10h55

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