En l’an 1492, le ‘très catholique’ Ferdinand mit les Juifs d’Espagne devant un choix douloureux: se convertir au christianisme ou émigrer. Informé, le sultan ottoman Bayazid II autorisa ceux qui le désiraient à venir s’établir en Turquie. Il envoya même quelques bateaux sur les côtes espagnoles pour les recueillir: ils furent plus de deux cent mille à se réfugier chez lui. Il eut alors ces mots ironiques ou méprisants à propos du roi d’Espagne: «Peut-on appeler sage et intelligent un souverain qui appauvrit son pays et enrichit le mien?»
J’ai pensé à cette phrase célèbre parce que, me trouvant dans les environs de Marseille, je viens d’apprendre que l’université d’Aix-Marseille a accueilli jeudi dernier une dizaine de scientifiques qui ont fui l’Amérique de Trump pour venir se réfugier en France. Ils seront bientôt vingt à Marseille. Ne supportant plus l’ambiance anti-scientifique qui règne désormais à Washington, touchés par des coupes budgétaires drastiques, ils ont retrouvé avec bonheur des laboratoires plus accueillants du côté de la Canebière. Le président Macron avait lui-même appelé les chercheurs américains à venir s’établir dans la patrie de Pasteur et de Marie Curie.
Emmanuel Macron s’est-il souvenu de la phrase de Bayazid II et l’a-t-il murmurée in petto en lançant son appel? En tout cas, c’était de circonstance.
On vit quand même une époque étonnante. Depuis la création des prix Nobel en 1901, les États-Unis en ont remporté la majorité. Certaines années, trois-quarts des lauréats étaient américains. Les raisons de ce phénomène sont connues: le prestige, l’indépendance et la richesse de leurs universités; l’accent mis sur la recherche fondamentale; la capacité du pays à attirer les talents du monde entier.
Décortiquons cela.
«On peut donc s’attendre à une sérieuse diminution de la domination américaine sur les Prix Nobel dans les années à venir– et donc, à terme, à une diminution de la puissance industrielle et des capacités d’innovation du pays. »
— Fouad Laroui
1. Le prestige, l’indépendance et la richesse de leurs universités. Les Républicains n’ont cessé depuis le début de l’année de s’attaquer à elles. Ils ont humilié Columbia, supprimé les subventions fédérales accordées à Harvard et sommé toutes les universités du pays de mettre fin à leurs programmes promouvant la diversité et l’égalité des chances.
2. L’accent mis sur la recherche fondamentale. Ces mêmes Républicains l’ont décrétée inutile, tout simplement, quand ils ne s’en gaussent pas ouvertement.
3. La capacité du pays à attirer les talents du monde entier. Inutile d’insister là-dessus, tant c’est caricatural: Washington a carrément interdit à Harvard d’enrôler des étudiants étrangers. Et tout étranger qui cherche à s’installer aux States ces jours-ci doit s’attendre à un parcours du combattant pour obtenir les documents administratifs requis.
On peut donc s’attendre à une sérieuse diminution de la domination américaine sur les Prix Nobel dans les années à venir– et donc, à terme, à une diminution de la puissance industrielle et des capacités d’innovation du pays.
Tout cela peut se résumer en une phrase: la plupart des élus républicains ne comprennent rien à la science et ne savent pas que c’est elle qui a permis aux États-Unis de devenir la plus grande puissance mondiale. Certains croient d’ailleurs que la terre est vieille de 6000 ans tout au plus et que les dinosaures batifolaient en compagnie d’êtres humains en tout point similaires à nous. Misère…
C’est une leçon pour nous. Dans le combat quotidien que livrent les (vrais) scientifiques à l’ignorance, la bigoterie et la charlatanerie, nous devons résolument prendre leur parti.
Et si Aix-Marseille a réussi à attirer vingt scientifiques américains, nos universités d’élite ne devraient-elles pas tenter aussi d’en accueillir?
Après tout, notre pastilla aux fruits de mer vaut bien la bouillabaisse du Vieux-Port…





