Les leçons de la libération de Boualem Sansal

Xavier Driencourt.

ChroniqueIl faut arrêter de congratuler Alger, de féliciter le président Tebboune et de le remercier pour son humanisme, sa générosité, sa grandeur d’âme. Là encore, de qui se moque-t-on? Si les militaires et leurs alliés au pouvoir à Alger étaient des humanistes, on le saurait à Paris, comme dans le reste du monde, depuis 1962. Ceux qui fuient l’Algérie resteraient dans leur pays si les dirigeants étaient des humanistes! La réalité c’est bien que le régime d’Alger est un système militaro-policier sans affects ni humanisme et qui n’agit que sous la contrainte.

Le 18/11/2025 à 16h06

Boualem Sansal a finalement été gracié et libéré, puis envoyé en Allemagne pour y être soigné.

Au-delà des nombreux commentaires sur ce dossier, je retiens, pour ma part, six leçons.

  1. La diplomatie a payé… mais c’est la diplomatie allemande.
  2. Le narratif officiel: victoire française, sus à Retailleau.
  3. L’isolement algérien.
  4. La méthode forte n’a pas marché, car on ne l’a pas essayée.
  5. Arrêtons de féliciter Alger.
  6. Kamel Daoud a raison.

«Kamel Daoud résume ainsi cruellement les choses: Boualem Sansal libéré, il faut libérer le peuple algérien. Vaste programme, aurait dit le Général de Gaulle…»

—  Xavier Driencourt
  1. La diplomatie a payé… mais c’est la diplomatie allemande. Il faut lire le communiqué officiel algérien pour bien comprendre que la diplomatie allemande faite de subtilité et de fermeté a payé. Le président algérien accède à la requête de son homologue allemand, car l’Allemagne est un «pays ami». On ne s’y trompe pas. L’Algérie n’a aucun contentieux avec l’Allemagne, les relations politiques et économiques sont florissantes, l’Allemagne, pour sa chance, n’a pas de passé colonial et l’Allemagne n’a pas soutenu la position française, britannique et espagnole sur le Sahara occidental et le plan d’autonomie marocain. En un mot, Berlin était le candidat idéal pour jouer les intermédiaires et sans doute y a-t-il eu des échanges, des tractations entre Paris et Berlin. L’Allemagne a fait preuve, à sa manière, de fermeté dans ce dossier, tandis que la diplomatie française naviguait sans cap précis.
  2. Dans ce contexte, le «narratif» officiel français est surprenant: après ce qu’il faut bien appeler un «fiasco diplomatique», voilà qu’on nous explique que «le couple franco-allemand» a parfaitement fonctionné, et que, dans le fond, la libération de Boualem Sansal est avant tout une victoire française. Comment camoufler une défaite? De ce point de vue, ceci est une prouesse diplomatique. Par ailleurs, il y a quelque chose d’inélégant à critiquer sans cesse l’ancien ministre Bruno Retailleau et d’expliquer que son départ du gouvernement a permis la libération de Boualem Sansal. Outre l’inélégance du propos, il y a une absence de solidarité gouvernementale évidente. C’est faire un cadeau à Abdelmadjid Tebboune et à sa presse que de reprendre cette affirmation.
  3. Car en réalité, cette affaire, autant qu’une non-victoire française, est une défaite algérienne. On oublie trop qu’Alger est aujourd’hui totalement isolé. Brouillée avec Paris comme avec Rabat, malmenée au Mali, sa frontière sud, comme au Sahel, l’Algérie a subi la semaine dernière une double défaite: à Paris où l’Assemblée nationale française a voté la résolution présentée par le RN demandant l’abrogation de l’accord franco-algérien de 1968 et à l’ONU où Russie, Chine et Pakistan ont lâché leur allié algérien pour soutenir le plan d’autonomie présenté par le Maroc. Alger ne pouvait donc pas maintenir indéfiniment Boualem Sansal en prison avec les risques qu’une telle incarcération comportait. L’Allemagne offrant une «sortie honorable», l’Algérie n’a pu que saisir cette opportunité.
  4. On entend ici et là que la «méthode forte» n’a pas fonctionné avec l’Algérie et qu’il fallait utiliser à l’avenir la méthode du respect et de l’amitié avec Alger. De qui se moque-t-on? Oui, la méthode de «fermeté» avec Alger n’a pas marché, mais simplement parce que la France ne l’a pas utilisée. Le nombre de visas reste stable, les visas délivrés aux étudiants augmentent, l’accord de 1968 est confirmé et les notables algériens coulent des jours heureux à Paris. Il est surprenant, dans la communication officielle, de travestir à ce point la réalité des choses.
  5. Dans le même esprit du «narratif» officiel, il faut arrêter de congratuler Alger, de féliciter le président Tebboune et de le remercier pour son humanisme, sa générosité, sa grandeur d’âme. Là encore, de qui se moque-t-on? Si les militaires et leurs alliés au pouvoir à Alger étaient des humanistes, on le saurait à Paris, comme dans le reste du monde, depuis 1962. Ceux qui fuient l’Algérie resteraient dans leur pays si les dirigeants étaient des humanistes! La réalité c’est bien que le régime d’Alger est un système militaro-policier sans affects ni humanisme et qui n’agit que sous la contrainte. Le danger arrivant et le menaçant directement, Alger a simplement cédé et reculé. Mais il a eu l’habileté de transformer sa défaite en victoire.
  6. Enfin, ne faut-il pas méditer les mots lourds de sens de Kamel Daoud, lui aussi persécuté par le régime algérien? Kamel Daoud résume ainsi cruellement les choses: Boualem Sansal libéré, il faut libérer le peuple algérien. Vaste programme, aurait dit le Général de Gaulle…
Par Xavier Driencourt
Le 18/11/2025 à 16h06