Législatives en Algérie: le président Tebboune éclaboussé par le trucage du faible taux de participation

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune votant lors des législatives du 12 juin 2021.

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune votant lors des législatives du 12 juin 2021. . DR

En faisant passer le taux de participation aux élections législatives du simple au double, le hissant à la dernière minute de 14,47 à 30,20%, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, sort très affaibli du scrutin qui a eu lieu hier, samedi 12 juin 2021, et fait un pari périlleux.

Le 13/06/2021 à 16h07

Il a dit une chose et a fait son contraire. Alors que Abdelmadjid Tebboune a été humilié par les urnes hier, 12 juin 2021, à travers un boycott record des Algériens aux législatives, il a fini par ordonner de gonfler les chiffres de ces élections. Pourtant, et après avoir constaté lui-même la désaffection quasi-totale des urnes, il avait affirmé que ce taux lui importait peu. Pire encore, il a ajouté que même si c’est une minorité infime qui vote, il en sortira un parlement que «la démocratie impose de respecter».

Après ces bourdes et dérapages et un taux de participation qui se situerait, au meilleur des cas selon certains médias algériens, entre 15 et 18% hier soir, samedi 12 juin, soit le taux le plus bas jamais enregistré en Algérie, le président algérien s'est finalement retrouvé contraint de bidouiller les chiffres, espérant ainsi rendre moins douloureux ce désaveu quasi-unanime de l'électorat. 

Ainsi, à deux heures de la fermeture des bureaux de vote, le président de l'Autorité nationale indépendante des élections (ANIE), Mohamed Charfi, a reçu l’ordre de prolonger d’une heure supplémentaire les opérations de vote.

A ce moment précis, l’ANIE venait d’annoncer que les chiffres disponibles à 16 heures donnent un taux de participation de 14,47%, contre 10,02% à 13h et 3,7% à 10 heures, précisant que seules trois wilayas ont dépassé un taux d’un peu plus de 30% sans jamais atteindre 40%. Ces chiffres sont officiels. Ce qui laisse d’emblée supposer qu’ils sont en-deçà de la réalité.

Mais tout a été subitement chamboulé peu avant minuit, samedi soir. En égrenant les derniers chiffres, qu’il qualifie cependant de «provisoires», le président de l’ANIE annonce vaguement un taux de participation de 30,03%. Ainsi, selon lui, «deux wilayas ont dépassé 74 %, quatre ont plus de 50%, alors que 3 wilayas ont connu un taux allant entre 40 et 50 % et 14 autres entre 30 et 40%. Il a été également enregistré un taux dépassant les 25% au niveau de 5 wilayas et un taux entre 20 et 25% dans 7 wilayas».

Il en ressort ainsi que durant les deux dernières heures du vote, 35 wilayas ont dépassé les 20%, alors qu’à 16 heures, seules neuf wilayas affichaient un taux de participation allant de 20,22 à 36,12%.

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Mais à ce niveau, une question de nuance reste en suspens. Le chiffre de 30,02% représente-t-il le taux de participation nationale (soit le rapport entre votants et inscrits sur les listes électorales), ou tout simplement la moyenne des taux de participation par wilaya (le rapport des taux additionnels des wilayas divisé par le nombre total de ces wilayas)?

La question principale qui se pose est de savoir pourquoi, et sur ordre de qui, l’ANIE a prolongé d’une heure l’horaire du vote, au moment où le taux de participation affichait, officiellement, 14,47% à seulement deux heures de la fermeture des bureaux de vote et pourquoi n’a-t-elle pas avancé la moindre raison à cette prolongation?

En réalité, ce qui était prévu, aussi bien par des cercles proches du pouvoir que par la majorité des Algériens opposés au régime, a finalement bien eu lieu. Puisque personne ne voulait de ces législatives du 12 juin, à part Tebboune lui-même, le taux de participation ne pouvait qu’être inéluctablement bas.

Et comment peut-il en être autrement dans un pays qui traverse une profonde crise politique, économique et sociale aiguë depuis plusieurs années, doublée d’un régime sans la moindre légitimité et qui ne se maintient que par la répression implacable contre ses citoyens et les tentatives de les diviser? 

La Kabylie est l’illustration parfaite de cet état de fait. Avec un taux de participation de moins de 1% aux législatives, dans cette région qui concentre toutes les richesses de l’Algérie et où le Hirak reste particulièrement puissant, la rupture entre le pouvoir et le peuple est manifeste. D’ailleurs, l’on se demande si avec un taux de participation de quelque 0,5%, les élections à Bejaia, par exemple, vont être annulées ou non, alors qu’elles ont déjà dévoilé les noms des 9 députés vainqueurs dans cette ville, dont 8 sont issus du FLN! De même à Tizi Ouzou, et son taux de 0,68% de participation: les 11 députés locaux sont évidemment déjà connus à cause du nombre infime de bulletins à compter.

Alger est l’autre exemple de cette rupture entre pouvoir et citoyens. Avec ses 4 millions d’habitants, la capitale algérienne, désormais bouclée chaque vendredi et mardi par des milliers de policiers, a affiché un taux de participation de quelque 6% seulement. Il était difficile de bidouiller le taux de participation à Alger, alors que la majorité de la presse internationale y était présente et qu’elle a constaté que les Algériens qui se dirigeaient dans les bureaux de vote ne dépassaient pas les doigts d’une seule main.

Abdelmadjid Tebboune, président mal élu, s’appuyant sur une constitution mal votée, et à nouveau sur 407 députés choisis par moins de 3 millions d’électeurs, est plus que jamais affaibli. Une posture délicate qui risque d’éclabousser l’establishment militaire qui le soutenait, et fragiliser davantage les institutions supposées représenter le peuple.

Par Mohammed Ould Boah
Le 13/06/2021 à 16h07