Ces actes criminels du pouvoir ne sont que la suite d’une longue série d’acharnements contre de nombreux opposants, dont plus de 300 croupissent actuellement dans les geôles algériennes, alors que ceux en exil sont traqués à mort.
Mardi 15 août, Abdou Semmar, journaliste algérien en exil depuis 2019 et patron du site Algérie Part, a été à un cheveu d’être liquidé en pleine rue dans une banlieue parisienne par un homme, manifestement mandaté par les services de renseignement algériens. Très actif sur les réseaux sociaux, où il diffuse parfois plusieurs vidéos par jour, et bien que ne se considérant pas comme un opposant mais un simple critique des gouvernants de son pays, Abdou Semmar a lui-même relaté la tentative d’assassinat dont il a fait l’objet mardi soir.
Son assaillant, qui a brusquement jailli d’une voiture garée, a d’abord tenté de le neutraliser avec du gaz lacrymogène avant de pointer un pistolet dans sa direction. C’est finalement l’appel au secours des riverains et passants qui a sauvé Abdou Semmar d’une mort certaine, son agresseur ayant rapidement pris la fuite de crainte d’être arrêté.
Une plainte pour tentative de meurtre a été déposée par le journaliste au niveau d’un commissariat de police de Nanterre, où il a été conduit suite à l’intervention des gardiens de la paix alertés par de nombreux témoins. Pour rappel, Abdou Semmar a été condamné à mort par contumace en octobre 2022 par un tribunal d’Alger qui l’accuse d’avoir publié des informations «susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale et à l’ordre public».
Bizarrement, cette même accusation d’«atteinte à la sécurité nationale et à l’ordre public» n’a valu au journaliste Farid Herbi, directeur de publication de Tout sur Boumerdes, que 3 ans de prison lors de sa condamnation en février 2023 pour avoir dénoncé la mauvaise gestion des projets de développement dans la wilaya de Boumerdès.
Au cas où l’agresseur d’Abdou Semmar serait identifié, le régime algérien risque de se retrouver dans de très mauvais draps. Surtout qu’un acte du même genre avait visé un autre célèbre youtubeur algérien, Amir Boukhors, alias Amir Dz, qui a échappé à une tentative d’assassinat à Paris en septembre 2022, alors que la justice française venait tout juste de refuser son extradition vers l’Algérie. Il aurait été agressé par un «diplomate» doublé d’un agent du renseignement militaire qui lui a assené un violent coup sur la tête avant de lui fracturer un bras suite à une rixe.
Pour sa part, l’autre journaliste algérien et activiste politique en exil, Anouar Malek, a annoncé que deux de ses frères ont été arrêtés dimanche dernier à l’aube (5 heures du matin) au domicile de son père, aujourd’hui âgé de 90 ans, à Chréa, dans la wilaya de Tebessa. Les deux frères avaient déjà été renvoyés du corps de la gendarmerie algérienne où ils exerçaient chacun depuis plus ou moins deux décennies, une décision qui intervenait en guise de représailles contre leur frère anti-régime. De même, un neveu d’Anouar Malek est lui aussi en prison pour avoir filmé et partagé une vidéo avec l’opposant en exil au Royaume-Uni Larbi Zitout.
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Début octobre 2022, Anouar Malek a échappé à une tentative d’enlèvement à l’aéroport d’Istanbul, où il a été retenu pendant plusieurs heures par la police des frontières turque, alors qu’un avion d’Air Algérie, spécialement affrété pour son extradition, attendait sur le tarmac. Par chance, une connaissance l’a croisé dans la zone où il était retenu et a immédiatement lancé une alerte sur les réseaux sociaux, ce qui a obligé les autorités turques à le libérer.
Cet acharnement contre les familles des opposants algériens de l’extérieur a également valu à Larbi Zitout, un ancien diplomate leader du mouvement islamiste Rachad, exilé au Royaume-Uni, l’arrestation de son frère Abderrahmane Zitout. Son procès est actuellement en cours et 10 ans sont requis contre celui qu’on désigne sous le nom de «frère du terroriste Larbi Zitout». Comme quoi, être parent d’un opposant est un crime en Algérie.
Même Noureddine Boukrouh, ancien ministre du Commerce de Bouteflika, aujourd’hui en exil et très critique contre le régime d’Alger et contre le président Abdelmadjid Tebboune, qu’il a qualifié, dans une célèbre chronique, de «fou juste bon à être interné dans un centre psychiatrique», a subi une cabale judiciaire contre sa famille quand la justice algérienne a convoqué, en septembre 2022, son fils pour le questionner sur l’origine du capital d’une petite entreprise dont il assure la gérance.
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Dans cette chasse aux opposants, Lotfy Nezzar, repris de justice comme son géniteur, le général Khaled Nezzar, avec lequel il était en cavale en Espagne pendant plusieurs années, s’est autoproclamé en janvier 2022 chef d’un commando du renseignement algérien qui s’est donné pour mission principale de liquider tous les opposants algériens vivant à l’étranger.
Le journaliste Hichem Aboud, en exil en France et plusieurs fois condamné par la justice algérienne, qui exige son extradition pour «terrorisme», a échappé, en février 2022, à une tentative d’assassinat de la part de ce commando qui lui a tendu un traquenard en Belgique.
Revers de la médaille: dans le cadre de la guerre qui sourd au sommet de l’Etat algérien entre le clan présidentiel et celui des généraux, c’est Saïd Bensedira, un porte-voix attitré des généraux protagonistes de la décennie noire, qui a été récemment visé à travers l’arrestation de son frère, président d’une petite commune algérienne. C’est dire que les méthodes mafieuses de la junte algérienne servent également aux règlements de comptes permanents entre des gangs qui s’opposent.
Aucun Etat digne ce nom ne se déchaîne contre les familles des activistes, même s’ils sont des terroristes avérés. Mais comme l’ont très bien expliqué les auteurs du livre «Le mal algérien», l’Algérie n’est pas un Etat, mais un système. Mafieux.