Le régime algérien secoué par une nouvelle affaire Khaled Nezzar

Le général Khaled Nezzar, ancien ministre algérien de la Défense, aujourd'hui poursuivi par la justice suisse pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.. DR

L’ambassadeur d’Arabie saoudite en Algérie s’est-il effectivement rendu chez le général retraité Khaled Nezzar dans sa résidence à Alger? Cette visite a-t-elle été vivement saluée par la présidence algérienne, comme le rapportent certains médias proches de la junte? Khaled Nezzar dément quant à lui cette visite du diplomate saoudien de façon assez tordue, en niant… toute implication dans la gestion des affaires de l’État algérien, auquel il vient pourtant d’ordonner de brandir des menaces de représailles contre la Suisse qui a décidé de le juger pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Le 07/09/2023 à 14h10

Dans un article publié à la Une de son édition papier du mercredi 6 septembre, puis sur son édition électronique, le quotidien algérien El Khabar salue ce qu’il appelle la «Position historique de l’Arabie saoudite à l’égard de l’Algérie».

Derrière ce titre grandiloquent, on découvre que «l’événement» dont il est question n’est rien d’autre qu’une prétendue visite qu’aurait effectuée Abdullah Bin Nasser Al Boussaïri, ambassadeur du Royaume d’Arabie saoudite à Alger, au domicile du général à la retraite Khaled Nezzar.

Citant une «source bien informée», El Khabar explique que cette visite intervient dans un contexte de tensions entre Alger et Berne, suite à la décision des autorités judiciaires helvétiques d’ouvrir un procès visant à juger Khaled Nezzar pour des faits avérés de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, commis durant la décennie noire des années 1991-2001 qui a ensanglanté l’Algérie et fait plus de 200.000 morts.

La diplomatie algérienne n’ayant aucun trophée imaginaire à brandir et restant toujours au pied du mur suite aux échecs retentissants qu’elle ne cesse d’accumuler, cette visite au domicile de Nezzar est présentée comme un soutien saoudien à la démarche du régime algérien qui avait proféré, une semaine plus tôt, des menaces de représailles contre la Suisse. Elle est même indirectement utilisée comme une sorte de mea culpa de l’Arabie saoudite, que Nezzar avait accusée en 1991, alors qu’il était ministre de la Défense, de soutenir les islamistes algériens du Front islamique du salut (FIS, dissous). Il est ainsi insinué que Riyad reconnaîtrait que «l’Algérie a mené seule une lutte héroïque contre le terrorisme» comme le prétend la propagande locale, et que les accusations de crimes de guerre et crimes contre l’humanité contre Khaled Nezzar et d’autres généraux de l’armée algérienne seraient infondées.

Pour donner une autre dimension à cette «position historique» de l’Arabie saoudite, El Khabar précise que sa source lui a également «confirmé que la visite d’Al Boussaïri chez Khaled Nezzar a été accueillie avec une grande satisfaction de la part de la présidence de la République, une haute appréciation qui reflète le respect que le Royaume d’Arabie saoudite et ses dirigeants portent à l’Algérie».

Pourtant, au sein de ce triptyque Nezzar-Arabie Saoudite-Tebboune, on ne peut trouver que des désaccords profonds. Entre Tebboune et Nezzar, rien ne baigne dans l’huile, tout comme les relations entre le président algérien et l’actuel homme fort saoudien, Mohamed Ben Salmane, bien dégradées depuis des années.

Bien évidemment, la fuite de cette information rapportée par El Khabar a mis dans l’embarras Khaled Nezzar, qui a rapidement démenti toute visite de l’ambassadeur saoudien.

Dans un bref démenti adressé à El Khabar et à son alter ego francophone Le Soir d’Algérie, Khaled Nezzar a eu du mal à cacher son désarroi. Au détour de trois petites phrases sans fil conducteur, il dit ne pas avoir rencontré le diplomate saoudien, avant d’ajouter que depuis son départ à la retraite, il a «cessé toute activité officielle» et s’est «toujours interdit d’interférer dans la gestion des affaires de l’État». Il conclut par un remerciement appuyé à Ahmed Attaf, le chef de la diplomatie algérienne, qu’il a récemment chargé de hausser le ton contre la Suisse.

À travers ce brouillamini, Nezzar tente vainement de cacher deux choses.

D’une part, il veut faire semblant de ne pas quémander des pressions de l’Arabie saoudite, très écoutée en Suisse, en vue d’annuler les poursuites pénales dont il fait l’objet pour de graves accusations, et qui risquent d’éclabousser les gros bonnets de l’actuelle junte militaire au pouvoir, dont le chef d’état-major Saïd Chengriha et le patron des renseignements extérieurs Djebbar Mhenna. C’est d’ailleurs cet appel à l’Arabie saoudite, en vue de calmer le jeu avec la Suisse, qui est censé être derrière la satisfaction de la présidence algérienne, représentée non pas par Abdelmadjid Tebboune, mais par les tenants de «l’État profond», tous des protagonistes des massacres de la décennie noire et des complices des crimes de Nezzar.

D’autre part, en niant avoir accueilli à son domicile le diplomate saoudien, parmi les nombreux visiteurs qui défilent chez lui, Nezzar tente de ne pas donner du grain à moudre aux nombreux observateurs qui affirment, à juste titre, qu’il tient toujours les manettes du pouvoir et que ce sont les protagonistes des tueries de la décennie noire qui copilotent toujours l’Algérie. Tout un chacun sait, en Algérie et en dehors, que depuis la fin des années 1980, Khaled Nezzar et Mohamed Mediène dit Toufik ont toujours été les donneurs d’ordres au pouvoir en Algérie, hormis un bref intermède allant de 2015 à 2020, durant lequel le premier a fui vers l’Espagne et le second a été placé en détention.

D’ailleurs, le second Hirak ne s’y est pas trompé. Des slogans phares ont nommément cité les généraux à la retraite Nezzar et Toufik. La décennie noire poursuit plus que jamais ses auteurs. Ceux qui pensaient que cette parenthèse génocidaire faisait partie du passé se trompent lourdement. Non seulement la décennie noire est d’une actualité brûlante, mais l’avenir de l’Algérie en dépend.

Par Mohammed Ould Boah
Le 07/09/2023 à 14h10