Le procès de la France comme celui du Maroc?

Xavier Driencourt.

ChroniqueLa lecture du discours du ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, donne l’impression d’un retour rhétorique aux années Boumediene et à l’imaginaire politico-idéologique de Frantz Fanon.

Le 30/12/2025 à 16h00

Ne sachant plus très bien comment occuper la scène diplomatique après la prise d’otages français, l’Algérie a organisé une «conférence internationale sur les crimes du colonialisme en Afrique». Placée sous le thème «Justice pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine à travers les réparations», elle a réuni à Alger des responsables politiques, juristes et historiens, dans cette ville érigée depuis longtemps en «Mecque des révolutions», pour instruire le procès de la colonisation — et, à travers elle, de la France.

Derrière l’étude de la colonisation européenne se dessine clairement une double démarche: la condamnation morale et juridique du colonialisme, et la revendication de mécanismes de réparation. Il s’agit à la fois d’obtenir la reconnaissance des crimes coloniaux et de promouvoir des mesures concrètes, notamment financières. La réflexion s’étend même à l’idée de «criminaliser» la colonisation en la faisant reconnaître comme crime contre l’humanité.

Officiellement, l’objectif affiché est d’harmoniser la position des États africains face aux anciennes puissances coloniales (France, Royaume-Uni, Allemagne, Belgique, Portugal, Italie et Espagne) afin de présenter une démarche commune dans les enceintes internationales. Le choix d’Alger n’a rien d’anodin: la longue guerre d’indépendance (1954-1962) et l’engagement de l’Algérie indépendante dans les luttes anticoloniales africaines ont façonné l’identité diplomatique du pays, longtemps soucieux de se placer «à l’avant-garde» de ce combat.

«Cette conférence donne surtout le sentiment d’une diplomatie algérienne en quête d’élan, cherchant à masquer ses brouilles successives avec le Maroc, la France, le Mali, la Libye ou les Émirats arabes unis derrière un activisme mémoriel.»

—  Xavier Driencourt

Mais cette posture, qui pouvait se comprendre dans les années 1960 alors que subsistaient encore des colonies en Afrique (Angola, Mozambique, Rhodésie, Sahara espagnol, apartheid sud-africain), conserve-t-elle la même pertinence en 2025, à l’heure où les structures coloniales ont disparu du continent? Un observateur attentif peine à saisir l’acharnement d’Alger à raviver les séquelles du passé.

Cette initiative semble en réalité poursuivre d’autres objectifs: remettre en cause la France — alors que les relations bilatérales sont au plus bas et qu’un otage français, le journaliste Christophe Gleizes, est toujours détenu; envoyer un signal au Maroc en réactivant la thématique de la «dernière colonie d’Afrique», le Sahara occidental; et rappeler le dossier palestinien, dans un contexte où l’Algérie a récemment été désavouée au Conseil de sécurité par ses partenaires russe et chinois.

La lecture du discours du ministre des Affaires étrangères Ahmed Attaf donne d’ailleurs l’impression d’un retour rhétorique aux années Boumediene et à l’imaginaire politico-idéologique de Frantz Fanon: l’Europe est accusée d’avoir délibérément exclu l’Afrique du progrès, la France d’avoir voulu substituer son peuple à un autre en effaçant une nation entière — ses institutions, sa culture, sa langue et sa religion. Reviennent alors les figures imposées: la «glorieuse révolution» de 1954, le sempiternel «million et demi de martyrs», les essais nucléaires français au Sahara — sans rappeler que ceux-ci se sont poursuivis jusqu’en 1967… avec l’accord d’Alger.

Au total, cette conférence donne surtout le sentiment d’une diplomatie algérienne en quête d’élan, cherchant à masquer ses brouilles successives avec le Maroc, la France, le Mali, la Libye ou les Émirats arabes unis derrière un activisme mémoriel. Mais il est peu probable que cette réunion d’Alger, conçue comme l’écho d’une conférence de 1973, puisse prétendre au statut d’un nouveau Bandung.

Par Xavier Driencourt
Le 30/12/2025 à 16h00