En Algérie, aucun commis de l’Etat ne fait une sortie tonitruante sans avoir reçu une instruction, soit des généraux, soit de la présidence. Tonitruante l’est sans doute la sortie du nouveau président-directeur général de l'Agence nationale d'édition et de publicité (ANEP), Larbi Ouanoughi. Ce dernier dit à haute voix ce que tout le monde savait déjà: durant les 20 dernières années, qui correspondent aux quatre mandats successifs de Abdelaziz Bouteflika, l’ANEP a distribué quelque 150 milliards de dinars en encarts publicitaires aux médias (journaux, radios, TV…). Le gros de cette manne, pour ne pas dire l’essentiel, a servi à graisser la patte à des patrons de presse triés sur le volet, car constituant le bras médiatique du «clan» affairiste qui dirige l’Algérie.
Ce qui est «scandaleux», selon Larbi Ouanoughi, qui s’exprimait jeudi dernier dans une longue interview accordée aux journaux algériens «El Watan» et «Al Khabar», c’est que nombre de ces patrons «choyés» n’ont rien à voir avec le milieu de la presse. Citant un cas emblématique dans l’attribution illégale et mafieuse de la publicité, le PDG de l’ANEP s’est attardé sur l’exemple du quotidien «Edough News», un journal édité à Annaba, que personne ne lit, ni ne connaît, mais dont le patron n’est autre que Adel Gaïd Salah, fils du général Ahmed Gaïd Salah, ancien chef d’état-major de l’armée algérienne et vice-ministre de la Défense, mort en décembre 2019.
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Ce quotidien bénéficiait chaque jour de quatre pages pleines de publicité –au minimum–, et ce pendant plus de 3 années (2017-2020). Le nouveau PDG a aussi annoncé que ce journal venait d’être définitivement blacklisté par l’ANEP, qui ne lui donnera plus la moindre publicité. Ce qui laisse présager que l’étau est en train de se resserrer sur les deux fils du défunt Gaïd Salah, Adel et Boumediène, ce dernier étant lui aussi patron de nombreuses entreprises impliquées dans des marchés publics peu transparents, particulièrement à Annaba (ville portuaire au nord-est de l'Algérie).
Pour rappel, l’ANEP, créée en 1967 sous le régime de Houari Boumediène, est un établissement étatique qui détient le monopole de la gestion et de la diffusion de la publicité du secteur public et surtout des grandes entreprises de l’Etat, dont la Sonatrach (gaz et pétrole). Selon une étude indépendante menée par l’agence algérienne de conseil, Media & Survey, le marché publicitaire public a atteint, en Algérie, un pic de 160,7 millions d’euros en 2013, avant de connaître une baisse suite à la crise financière.
Le PDG de l’ANEP affirme également avoir découvert, à son arrivée à la tête de l’agence en avril dernier, plus de 40 journaux qui étaient édités sous des prête-noms et qui profitaient largement de la manne publicitaire. «Leurs propriétaires n’ont aucune relation avec la presse. Pourtant, la loi est claire en définissant qui a le droit de créer un journal et qui ne l’a pas», tonne Ouanoughi, citant nommément le footballeur Rabah Madjer, le «fou de Bouteflika».
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Selon lui, ses prédécesseurs se sont défendus en affirmant en chœur qu’ils ne faisaient qu’exécuter des instructions d’en haut. «De qui? De Saïd Bouteflika, le frère cadet de l’ex-président? Du ministre de la Communication? D’Ali Haddad? Je ne sais pas, mais ce qui est sûr, c’est que tout ce beau monde gérait l’ANEP», reconnaît Larbi Ouanoughi, qui divulgue aussitôt que Djamel Kaouane, ancien ministre de la Communication, est également dans le tour de table du groupe qui édite le journal «Le Temps», appartenant au magnat des «affaires», Ali Haddad.
Autre conflit d’intérêts, celui d’Amine Ichikr, l’ancien patron de l’ANEP (mai 2018-avril 2019), qui a servi à son épouse, détentrice du journal «Le Reporter», pas moins de 540 millions de dinars en insertions publicitaires en une seule année.
Et de conclure que «l’ANEP est devenue, par les jeux d’influences, d’allégeances, de cupidité, de prédation, une vache à traire», car tout «ce qui s’y faisait obéissait à la logique de l’allégeance aux directeurs, aux ministres et autres».
Pour qui connaît un peu l’Algérie, tout le déballage de cette galerie de noms n’est que de la poudre aux yeux. La cible de la sortie du PDG de l’ANEP, c’est le fils de Gaïd Salah. Et cette sortie laisse augurer que le nettoyage au kärcher que mène le tandem Saïd Chengriha/Abdelmadjid Tebboune contre les généraux et les proches de Gaïd Salah s’élargira aussi aux enfants du défunt. Le PDG de l’ANEP a précisé que les dossiers des faux patrons de presse sont actuellement soumis à une enquête, confiée aussi bien à l’Inspection générale des finances qu’à la gendarmerie algérienne.
Il ne faut pas s’étonner de lire dans les prochains jours une dépêche annonçant que le fils de Gaïd Salah est placé sous mandat de dépôt. D’ailleurs, la guerre contre le clan de son père fait rage en ce moment. Le dernier acte en est le mandat d’arrêt international émis par le ministère algérien de la Défense contre l’ancien chef de la gendarmerie, le général Ghali Belkecir, qui aurait fui avec sa famille en Espagne.