Devant un parterre de journalistes arabes, qu’il a convoqués en vue d’expliquer, au détour d’une conférence de presse, les raisons de l’ajournement du sommet Russie-pays arabes, prévu initialement le 15 octobre, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a dévoilé la perfidie de ses «amis algériens», suite à une question provocatrice d’une journaliste algérienne.
Il n’est certes pas étonnant d’entendre cette journaliste saisir l’occasion pour poser une question sur le Sahara. Ce qui l’est, au contraire, et qu’il est difficile de comprendre, c’est comment elle est allée jusqu’à accuser la Russie de commettre des crimes contre les civils maliens, qui auraient été tués par des éléments de l’Africa corp, une unité relevant de l’armée russe et qui a remplacé les paramilitaires de Wagner après leur dissolution.
Cette provocation a donné à Lavrov l’occasion de démasquer et d’humilier le régime algérien. Pour Lavrov, la question sur le Mali, lue par la journaliste de la télévision publique AL24 News, lui a été rédigée depuis Alger. Et sur ce point, Lavrov n’a pas vraiment tort, puisque cette chaîne de télévision dépend directement de la direction de la communication de la présidence algérienne. Ce média a été lancé en novembre 2021, dans le seul but de lustrer l’image, les mots et gestes du président Tebboune, mais aussi de servir de fabrique de fake news visant à attaquer quotidiennement le Maroc. Une ligne éditoriale que les Russes n’ignorent pas, comme l’a clairement affirmé Lavrov à l’adresse de la journaliste algérienne.
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«Votre question a été bien travaillée et vous l’avez lue de façon parfaite. Mais comme vous le savez, l’Africa corp est une unité militaire relevant du ministère de la Défense de la Fédération russe. Notre armée ne mène jamais d’opérations contre des civils ou contre des infrastructures civiles. Et cela est bien connu. Si votre rédaction ou ceux qui vous ont demandé de soulever ce sujet ont des preuves sur de telles accusations qu’ils les présentent, car la Russie est ainsi accusée sans fondement de graves et horribles crimes», a répondu Lavrov, devant les caméras.
«En ce qui concerne les craintes de l’Algérie sur la présence de l’Africa corp dans les pays du Sahel, je vous précise que notre présence militaire au Mali répond à une demande des autorités légitimes de ce pays», a encore précisé Lavrov.
Selon lui des tensions existent entre le Mali et l’Algérie, des tensions dont les racines remontent, explique le chef de la diplomatie russe, à l’époque coloniale quand les frontières de chaque pays ont été tracées par le colonisateur sans tenir compte de l’unité ethnique de certaines régions d’Afrique. Lavrov a cité le cas des Touaregs qui ont été divisés entre le nord du Mali et le Sud algérien.
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Sergueï Lavrov a poursuivi en ajoutant que la plupart des conflits sur le continent africain s’expliquent par les frontières artificielles héritées de la colonisation. Une façon pour Lavrov de rappeler au régime d’Alger que les frontières de l’Algérie sont artificielles et ont été excessivement élargies par le colonisateur français en amputant des territoires à d’autres pays, dont le Mali. Le très chevronné diplomate russe marque ainsi son désaccord avec le régime algérien, un fervent défenseur des frontières coloniales, et qui instrumentalise aujourd’hui la question touarègue pour s’ingérer dans les affaires maliennes.
Les propos de Sergueï Lavrov sur les frontières de l’Algérie n’ont suscité aucune réaction à Alger. Gouvernement comme médias semblent tétanisés par cette estocade en provenance d’un pays allié, premier fournisseur de l’armée algérienne. À la gravité des propos du chef de la diplomatie, le régime d’Alger n’a activé qu’un député, président du groupe parlementaire d’amitié algéro-russe. C’est donc Abdeslam Bechagha qui s’est exprimé, en tant qu’ami, et de façon très embarrassée. Il a affirmé au quotidien du régime Al Khabar partager l’avis du chef de la diplomatie russe sur le fait que la colonisation française est à l’origine de nombreux problèmes en Afrique, mais a toutefois émis des réserves sur la question des frontières soulevées par Lavrov, en affirmant que les tensions entre Alger et Bamako ne s’expliquent pas par un contentieux lié aux frontières.
Le soutien affiché par le chef de la diplomatie russe aux autorités maliennes n’est visiblement pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Mercredi 15 octobre, à Kampala, capitale de l’Ouganda, où se tient actuellement une réunion des ministres des Affaires étrangères des pays non-alignés, le Mali a réitéré ses accusations contre l’Algérie, présentée à nouveau comme le parrain des mouvements terroristes au Sahel. Après les accusations proférées, le 26 septembre dernier, devant les délégations du monde entier assistant à l’Assemblée générale de l’ONU, par le Premier ministre Abdoulaye Maiga, cette fois-ci c’est le ministre des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, qui l’a encore reprise au grand dam de la délégation algérienne présente.
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Depuis l’arrivée de Tebboune au pouvoir, les relations algéro-russes ont connu d’importantes perturbations. C’est Tebboune qui a lancé un pavé dans la mare en juin 2021, lorsqu’il a affirma que l’Algérie était prête à intervenir en Libye pour stopper l’avancée des troupes du Maréchal Haftar qui allait entrer à Tripoli. Or ces troupes sont soutenues, en plus des Émirats et de l’Égypte, par la Russie.
Même si le général Said Chengriha était parti en visite en Russie en vue de jouer au pompier entre El Mouradia et le Kremlin, le froid n’a jamais été dissipé entre Alger et Moscou. La visite d’État effectuée par Tebboune chez Poutine en juin 2023 va même aggraver la situation, puisque Poutine, malgré les complaintes de Tebboune, opposa son niet, deux mois plus tard, à l’entrée de l’Algérie au sein des BRICS.
C’est Lavrov qui se chargera d’expliquer les raisons de ce refus russe. Le 24 août 2023, il a laissé entendre que l’Algérie n’a pas le poids, ni économique ni diplomatique, pour intégrer les BRICS, ajoutant: «nous agrandissions nos rangs avec ceux qui partagent notre vision commune».
Tebboune navigue à vue, avec beaucoup d’amateurisme, et torpille les relations construites par son pays avec ses plus proches alliés. Résultat: l’isolement de l’Algérie est total aujourd’hui.








