L'irruption de la mode islamique dans l'espace public soulève régulièrement des tollés en France, suscitant souvent l'incompréhension à l'étranger. "Une nouvelle fois, la France fait tout un drame des choix vestimentaires des femmes musulmans", a ainsi écrit mardi le Washington Post.
Les flèches ont été décochées en quelques heures, de part et d'autre de l'échiquier politique français.
Le "boycott" a été réclamé à la fois par Valérie Rabault, présidente du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, et le chef de file du parti souverainiste "Debout la France", Nicolas Dupont-Aignan.
La porte-parole du parti présidentiel "La République en marche", Aurore Bergé, a déclaré qu'elle ne fera "plus confiance à une marque qui rompt avec nos valeurs", rejointe par Lydia Guirous, porte-parole des Républicains (droite), accusant l'enseigne d'"accompagner la soumission des femmes".
La polémique a enflammé les réseaux sociaux en France tandis que l'enseigne a indiqué sur Twitter avoir été inondée d'appels et d'emails d'insultes et de menaces, visant aussi les salariés dans les magasins, "parfois physiquement".
"Une hystérisation" du débat déplorée mercredi par la ministre française de la Justice Nicole Belloubet, qui a rappelé que ce hijab, "qui laisse le visage libre et visible" selon la marque, n'était pas contraire à la loi sur la laïcité et l'ordre public.
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A titre personnel, elle a néanmoins estimé que "le sport c'est des valeurs d'universalisme" et qu'elle ne voyait pas "pourquoi les femmes se contraindraient elles-mêmes à porter ce type de vêtements".
Dans une tribune au Huffington Post, la secrétaire d'Etat française à l'égalité femmes-hommes Marlène Schiappa, opposée à l'interdiction du hijab, juge "nécessaire de questionner ce choix philosophiquement". "Quel message la France adresse-t-elle aux femmes courageuses qui, dans plusieurs pays du monde, retirent leur voile au péril de leur vie ?", interroge-t-elle.
Le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux est, lui, resté sibyllin, se rangeant "du côté de la liberté de conscience et de la liberté tout court".
Seule la ministre des Sports Roxana Maracineanu a pris clairement position pour la vente de ce type de vêtements : "je veux aller chercher les femmes, les mères, les jeunes filles partout où elles sont et comme elles sont, les encourager à la pratique du sport car c'est, j'en suis convaincue, un levier puissant d'émancipation", a-t-elle tweeté.
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En 2016 en France, la commercialisation de voiles islamiques par des marques de luxe occidentales ou, plus encore, les arrêtés municipaux antiburkini (maillot de bain pour femmes couvrant le torse ainsi qu'une partie des membres et de la tête) sur les plages (finalement invalidés par la plus haute juridiction administrative française) avaient alimenté de vifs débats.
Cette nouvelle polémique, "c'est de la folie", s'insurge le sociologue Raphaël Liogier. "Quel est le point commun entre l'idée d'être plus élégante, de se baigner ou de faire du sport en public ? Dans les trois cas, c'est interdit par l'islam", rappelle l'auteur de "La guerre des civilisations n'aura pas lieu. (...) Ces femmes qui portent ces vêtements sont pour la modernisation de l'islam. Donc en demandant de retirer le hijab, on soutient les fondamentalistes", ajoute-t-il.
"Plus on accule les femmes qui portent le foulard à l'ôter ou plus on les culpabilise, plus les fondamentalistes trouveront une légitimité et diront +voyez, la France est contre l'islam, donc tenez à votre foi+", abonde Farhad Khosrokhavar, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess).
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Selon le chercheur, "l'idéologisation du foulard en France est de plus en plus éloignée du monde réel. (...) Un peu partout maintenant, il y a des femmes qui portent le foulard et qui participent à l'espace public, à la politique, à la mode... On est là dans une forme archaïque de laïcité".