Leurs messages? Pour les trois d’entre eux arrêtés dès les premiers jours de janvier, les vidéos tombent sous le coup du droit commun et justifient la détention provisoire: apologie du terrorisme pour l’un, en appelant à perpétrer des attentats en France et des violences en Algérie, provocation directe à un acte de terrorisme pour un deuxième, appelant à «brûler vif, tuer et violer sur le sol français», provocation publique à commettre un crime et légitimant la torture contre les opposants au régime algérien pour le dernier, immédiatement expulsé vers l’Algérie, mais déjà de retour dans un centre de rétention administrative francilien. Derrière ces arrestations– et les promesses d’un ministre de l’Intérieur à «ne rien laisser passer»– se profile un nombre «difficilement qualifiable», selon les services du même ministère, de moudjahidine 2.0 ayant en partage la nationalité algérienne– souvent binationaux– et une violence qu’ils distillent, en français ou en arabe, auprès de leur communauté sur TikTok, contre des cibles récurrentes: opposants algériens, Juifs d’Europe et Israéliens, France… et Maroc.
D’où parlent-ils? Depuis la Bretagne, les Alpes ou Montpellier… Mais évidemment, les propos nationalistes et antisémites relayés par la plateforme chinoise, comme les deux faces de la médaille de ces combattants numériques, font comme écho aux discours d’Alger et laissent planer le doute sur des connexions possibles par-delà la Méditerranée, dans un contexte de crise aiguë entre la France et l’Algérie. D’autant qu’en fait de doutes, ceux émis par le ministre français des Affaires étrangères quant à la volonté de l’Algérie de respecter la feuille de route des relations bilatérales ont été définitivement levés sur le tarmac de l’aéroport Boumediene: retour à l’envoyeur de l’influenceur expulsé. On peut rester dubitatifs, en revanche, sur une autre feuille de route, celle de la Grande Mosquée de Paris, notamment à la lecture de son communiqué de presse du 6 janvier. Se vantant de «jouer, depuis sa création, un rôle constructif et positif pour la relation entre les deux pays», elle choisit pourtant de prendre la plume, non pour appeler à l’apaisement, mais pour mettre en cause les médias français et assumer par la même occasion, à la fois «ses liens forts» avec l’Algérie, et son ingérence dans les élections françaises, précisément les Européennes et législatives de 2024.
Peut-on s’attendre à une réponse européenne? Après tout, l’Europe est engagée depuis la dernière mandature dans un long combat contre les ingérences étrangères. Elle s’est dotée d’un arsenal, essentiellement dirigé contre Moscou, accessoirement contre Pékin. Et le premier règlement General Data Protection Regulation (GDPR) a été renforcé par le Digital Services Act (DSA), mis en œuvre depuis 2023, censé davantage protéger les internautes européens contre la désinformation et la haine en ligne. À peine installé, le nouveau Parlement européen, annonce vouloir aller plus loin, à travers une commission ad hoc au titre ambitieux de «bouclier européen de la démocratie», dont le vaste programme, sur un an de travaux, englobera aussi l’ingérence sur les plateformes numériques. De son côté, la Commission européenne a engagé depuis plusieurs mois, une bataille contre le réseau X, qui prend une ampleur nouvelle depuis les épisodes politiques de l’hiver: présidentielles en Roumanie, victoire de Donald Trump et soutien appuyé d’Elon Musk à des partis européens infréquentables.
En décembre, la Commission a également ouvert une procédure formelle à l’encontre de TikTok au titre du règlement sur les services numériques. À cette occasion, Ursula Von der Leyen a déclaré: «Nous devons protéger nos démocraties contre toute forme d’ingérence étrangère. Nous disposons d’informations sérieuses indiquant que des acteurs étrangers se sont servis de TikTok pour interférer dans les élections présidentielles roumaines et nous menons actuellement une enquête approfondie pour déterminer si TikTok a enfreint le règlement sur les services numériques en ne prenant pas de mesures pour lutter contre ces risques. Il devrait être parfaitement clair que, dans l’UE, toutes les plateformes en ligne, y compris TikTok, doivent répondre de leurs actes.»
Les défis posés à la France par les influenceurs algériens sont autant de messages pour toute l’Europe: voir le bouclier de la démocratie comme une arme défensive contre un nouvel «axe du mal numérique» Russie/Chine/USA; mais en faire aussi un outil de combat face aux tentatives de déstabilisation des Etats membres par la diaspora d’Etats tiers.