États-Unis: un groupe Moorish américain revendique la marocanité d’un champ de tir au Maryland

Des manifestants afro-américains brandissant le drapeau marocain aux Etats-Unis.

Des manifestants afro-américains brandissant le drapeau marocain aux Etats-Unis. . DR

La petite bourgade de Fire Tower Road, dans le sud du Maryland, a connu un épisode pour le moins insolite ces dernières semaines lorsque le groupe dit des «citoyens souverains maures» et «héritiers légitimes de l’empire mythique d’Afrique du Nord», a revendiqué deux hectares de terre en décrétant leur placement sous juridiction marocaine...

Le 28/12/2022 à 16h36, mis à jour le 29/12/2022 à 14h20

Tous les dimanches depuis 2021, petits et grands se retrouvaient dans la propriété de Fire Tower Road, dans une ambiance familiale, les premiers temps, pour partager ensemble un barbecue et… l’amour des armes.

Depuis 2019, la propriété appartient à Byron Bell, 64 ans, qui en septembre de cette année a déclaré sa citoyenneté mauresque américaine. Ici, l’homme co-organise des évènements avec le dénommé Mark Choppa Manley, influenceur sur les réseaux sociaux, ancien agent de sécurité et promoteur de cette propriété comme étant le foyer de la «Communauté Choppa», un incubateur d’éducation sur les armes à feu et propriété des Afro-Américains. En pleine vague de crimes violents, Mark Choppa Manley s’adresse ainsi à la communauté noire du comté de Prince George qui cherche à s’armer pour se protéger.

Mais le temps passant, le nombre de membres augmente et avec eux, le champ qui entoure cette tranquille propriété, agricole naguère, se transforme en véritable champ de tir où l’on use d’armes de gros calibres.

Une pétition plus tard et après plusieurs plaintes déposées par les voisins aux autorités, exaspérés par les nuisances sonores de ces fusillades dominicales, les responsables du comté de Charles prennent le taureau par les cornes en décrétant l’endroit «champ de tir illégal» et en déposant une injonction pour interdire son accès au groupe.

L'Empire du Maroc... aux Etats-UnisMais Byron Bell n’en démord pas et estime que ses amis et lui sont injustement pointés du doigt dans un Etat où «tout le monde tire», argue-t-il, refusant qu’on lui dise quoi faire de sa terre. Se considérant «citoyens souverains», à l’abri du système juridique et financier américain, les membres du groupe de tireurs décident alors de contourner l’interdiction qu’on leur oppose en décrétant la propriété «protégée par la juridiction consulaire du Maroc».

Car ces Américains, adeptes des symboles du Maroc et qui prônent leur marocanité sur leurs cartes d’identité, leur drapeau et jusqu’aux tarbouches qu’ils portent, appartiennent en fait au temple de la science maure d’Amérique (Moorish Science Temple of America), une organisation religieuse datant de 1913 qui tirerait ses racines historiques du Maroc et qui serait basée sur les fondements et les textes de l’islam.

Ainsi, aux yeux des Moorish, les Afro-Américains seraient les descendants des Maures de l’Afrique du Nord-Ouest, étant entendu que le terme «maure» désignait à l’époque médiévale les musulmans. En tant que «citoyens souverains maures», héritiers «d’un empire fictif qui s’étendait du Royaume actuel du Maroc à l’Amérique du Nord», délimite le Washington Post, qui rapporte l'affaire, ceux-ci revendiquent ainsi «les mêmes protections contre les poursuites judiciaires américaines que celles accordées aux citoyens étrangers, tout en affirmant simultanément leurs droits à s'approprier des propriétés - souvent des maisons bien aménagées appartenant à d'autres personnes - qui, selon eux, font toujours partie de "l'empire marocain"», explique le média américain, non sans ironie.

Des citoyens souverains qui entendent échapper aux loisDans l’affaire de la propriété de Byron Bell, les responsables du comté se sont ainsi vu adresser des documents qualifiés de «déroutants» par le média, car «ornés de symboles tels que l'étoile et le croissant et l'Œil de la Providence en forme de pyramide qui apparaît au verso du billet d'un dollar». Pire encore, les membres du groupe y arguent que le différend autour de la terre de Byron Bell est soumis aux termes d’un traité établi en 1836 entre les Etats-Unis et le Maroc, relatif aux droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc.

L’un de ces courriers «officiels» est par ailleurs paraphé par le dénommé Lamont Maurice El, de son vrai nom Lamont Maurice Butler, lequel affirme être le consul général de la «Cour consulaire du Maroc dans la république de l’Etat du Maryland». C’est à ce titre, rappelle la publication, que le pseudo-consul avait d’ailleurs été reconnu coupable de plusieurs chefs d’accusation en 2013 après avoir tenté d’occuper un manoir de douze chambres, selon le même procédé que pour la propriété de Byron Bell.

Depuis, Lamont Maurice Butler et un autre membre du groupe, George Beal-Bey, ont été arrêtés, puis inculpés sous divers chefs d'accusation liés aux armes à feu et leur audience a été fixée au 30 décembre. Byron Bell a jusqu’à présent refusé de fermer sa propriété et n’a comparu à aucune audience au tribunal, faisant désormais face à une sanction de 350.000 dollars pour outrage au tribunal.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 28/12/2022 à 16h36, mis à jour le 29/12/2022 à 14h20