Drame de Oued El Harrach: le régime algérien dévoile ses divisions et cache son impéritie derrière des boucs émissaires

Le général Said Chengriha, bélliqueux chef d'état-major de l'armée algérienne

Le général Said Chengriha, bélliqueux chef d'état-major de l'armée algérienne. DR

En Algérie, tous les regards réprobateurs sont plus que jamais rivés sur le régime algérien. Il est cette fois-ci ouvertement accusé d’être le principal responsable de la mort de 18 personnes, tuées vendredi dernier, suite à la chute d’un autobus bondé de passagers dans l’Oued El Harrach, un conduit d’eaux usées et d’immondices qui traverse plusieurs villes algériennes, dont la capitale, Alger. Pour cacher ce crime dû à son impéritie, le pouvoir algérien a réagi en rangs dispersés, mais a vite trouvé des boucs émissaires en sanctionnant, entre autres, des chaines de télévision ayant répercuté à chaud le ras-le-bol de la rue à travers des témoignages sur ce drame.

Le 18/08/2025 à 15h39

Dans «l’Algérie nouvelle», devenue depuis une année «l’Algérie victorieuse», les infrastructures de base existantes ont atteint des niveaux abyssaux de délabrement, au point d’exposer au danger permanent la vie des Algériens. L’exemple par le parc automobile local en dépérissement avancé sous l’effet des interdictions, ordonnées par Abdelmadjid Tebboune, d’importer des pièces de rechange, ou détachées. Résultat: des accidents de la route en série, faisant chaque année plusieurs milliers de morts et de blessés à travers tout le pays. Une hécatombe dont l’un des plus récents épisodes est le drame de vendredi dernier, consécutif à la chute d’un autobus du haut d’un pont enjambant le Oued Harrach, un égout à ciel ouvert. Cet accident a fait 18 morts et plus d’une vingtaine de blessés en plein cœur de la capitale.

Pour cacher sa responsabilité directe dans ce drame qui a suscité une immense indignation dans le pays, le régime politico-militaire, par la voix de son ministre des Transports, Saïd Sayoud, s’est d’abord acharné sur les conducteurs algériens en général, accusés d’être derrière «plus de 90% des accidents de la route», à cause de l’excès de vitesse.

Ne sachant plus en réalité quel alibi avancer face à cet horrible accident, ayant alimenté un torrent de shitstorm sur les réseaux sociaux en Algérie, le président Tebboune a démenti son ministre des Transports, et ordonné d’immobiliser immédiatement ou d’envoyer à la casse tous les autobus en fonction depuis plus de trente ans. Ce qui représenterait quelque 70% des autobus du seul parc en service à Alger.

En réaction à cette instruction présidentielle, Saïd Sayoud a changé de ton quant aux responsabilités dans les accidents meurtriers, en reconnaissant que leur origine est à chercher dans le délabrement total du parc automobile roulant. Et ce, même s’il a pris le soin de déclarer que l’autobus ayant causé le drame de Oued El Harrach n’a que 20 ans d’âge.

Il a ainsi donné un délai maximal de 6 mois aux sociétés impliquées dans la gestion du transport urbain en vue de rajeunir leur parc roulant à travers l’acquisition de nouveaux bus. L’État serait prêt, selon lui, à mettre la main à la poche.

Il s’agit là d’un aveu du pouvoir quant à l’inanité de sa politique de limitation drastique des importations de voitures neuves et de pièces détachées, politique qui est derrière l’augmentation exponentielle des accidents de la route en Algérie.

C’est cette réalité marquante du fiasco du slogan creux de «l’Algérie nouvelle» qui, à force de faire miroiter des chiffres mirobolants et imaginaires, et prôner l’économie des devises tirées des exportations d’hydrocarbures, a fini par priver les Algériens des produits de première nécessité et de tous les autres besoins élémentaires comme l’accès à l’eau potable, l’accès aux réseaux d’assainissement et à des transports en commun qui ne soient pas des cercueils mobiles. En somme, des revendications élémentaires que l’on ne brandit pas dans un pays pétrolier et gazier.

Pour avoir dévoilé ce visage hideux de «l’Algérie nouvelle», à travers les témoignages crus des blessés de Oued El Harrach et de leurs familles, quatre chaines de télévision ont écopé d’une sanction de 48 heures d’écran noir.

Cette suspension temporaire, entrée en vigueur samedi dernier à 22h30 locales, a été décidée par l’Autorité nationale indépendante de régulation de l’audiovisuel (ANIRA) et a concerné El Hayat TV, El Bilad TV, El Wataniya TV et Echorouk TV.

Il est reproché à ces chaines d’avoir interviewé les blessés dans les services d’urgence des hôpitaux, et diffusé des images qualifiées de «choquantes» sans en avertir au préalable les téléspectateurs.

Pourtant, avant d’être suspendues, toutes les TV sanctionnées ont successivement tendu le micro au ministre algérien des Transports, et relayé les annonces de Tebboune, qui a décrété, à partir de sa villégiature en Bavière, une journée de deuil national, présenté ses condoléances aux familles des victimes et dépêché une délégation de la présidence au chevet des blessés. Elles ont même montré, à l’hôpital, le patron de la police algérienne, le DGSN Ali Badaoui, en train d’interroger sans ménagement, le chauffeur blessé du bus accidenté.

Les télévisions sanctionnées ont également couvert la visite effectuée par le chef d’état-major de l’Armée et ministre délégué de la Défense, le général Said Chengriha, à l’hôpital militaire de Aïn Naadja, où il a ordonné le transfert, pour la circonstance, de certains blessés.

D’ailleurs, contrairement à la délégation envoyée par Tebboune et dirigée par Boualem Boualem, son puissant directeur de cabinet, Chengriha a eu droit à la retransmission en direct de sa visite aux blessés sur quasiment toutes les TV algériennes, publiques et privées.

Ce traitement de faveur réservé par les médias à Chengriha est révélateur de la lutte des clans au sommet du pouvoir, car chaque clan a profité de ce drame pour en rejeter la responsabilité sur l’autre partie. Tellement, il est vrai que les immondices de Oued El Harrach ont fait une tache indélébile sur la propagande du régime, dévoilant aux yeux de tous que dans «l’Algérie nouvelle», des épaves âgées de plus de trente ans servent de bus aux Algériens. Sanctionner les chaines de télévision, pourtant très dociles, ne changera rien à l’affaire. Si le but de cette sanction est d’empêcher, dans l’avenir, la diffusion de toute image à rebours de «l’Algérie nouvelle», les Algériens noyés dans un lit d’immondices ont délié les langues et fait trembler le régime.

Par Mohammed Ould Boah
Le 18/08/2025 à 15h39