Algérie: voici pourquoi le régime a publié sa «liste nationale» du terrorisme avant de la retirer dare-dare

Les youtubeurs algériens en exil Amir DZ (à gauche) et Hichem Aboud ont été classés en tant que «terroristes» par la junte au pouvoir. . Le360 (photomontage)

L'approche du troisième anniversaire du Hirak terrorise le régime algérien. Impuissant à faire taire les voix critiques, le régime réédite ses actes manqués. Il vient ainsi de publier au Journal officiel une «liste nationale» du terrorisme, comportant des personnes et entités qu’il a déjà classées comme terroristes, avant de la retirer.

Le 20/02/2022 à 12h37

Le secrétariat général du gouvernement algérien a retiré de son site la livraison n°11 du Journal officiel, publiée le jeudi 17 février dernier et comportant une liste nationale des personnes et entités classées comme terroristes par le ministère algérien de l’Intérieur. Le fait qu’aucune justification n’ait été apportée jusqu’à présent au retrait de ce document, qui donne en général force de loi à toutes les décisions de l’Etat dès leur publication, montre que c’est la classification insensée, pour ne pas dire stupide, de certains opposants au régime en tant que «terroristes», qui a poussé les promoteurs de ce texte à rétropédaler.

En effet parmi les 16 personnes qualifiées de «terroristes», on retrouve, pêle-mêle, un avocat de notoriété internationale, un ancien diplomate, un journaliste, un écrivain et politologue, un professeur d’université, de célèbres youtubeurs et influenceurs très actifs sur les réseaux sociaux… En somme, des militants pacifiques, à mille lieues des coefficients qu’on attribue aux personnes impliquées dans des actes de terrorisme.

Toutes les personnes citées dans la «liste nationale» du terrorisme sont, pour leur majorité, faussement accusées d’appartenir à deux «entités terroristes», le mouvement d’obédience islamiste, Rachad, ou celui militant pour l’indépendance de la Kabylie (Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie -MAK), deux organisations qui, à leur tour, n’ont jamais commis, ni même incité, au moindre acte de violence, et qui sont au demeurant diamétralement opposées tant dans leurs idéologies que dans leurs objectifs politiques.

L’on ne peut aussi que se demander pourquoi cette «liste nationale» comporte à nouveau les noms de Rachad et du MAK, déjà classés par le régime algérien comme «organisations terroristes» à travers un communiqué officiel de la présidence algérienne, daté du mardi 18 mai 2021 et publié au Journal officiel. La junte serait-elle devenue amnésique? Il est vrai qu’il n’y a rien de surprenant à ce que les chibanis qui dirigent l’Algérie aient des trous de mémoire.

Le régime algérien fait effectivement dans la redite. Car en plus d’avoir classé comme terroristes les deux organisations pacifiques, le 10 octobre dernier, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a exigé de la France l’extradition de Ferhat Mehenni (MAK), lors de l’une de ses sorties médiatiques, ayant pris la tournure d'un cycle d'interviews. «Nous continuons à demander à ce que le chef de file, le terroriste du MAK, nous soit livré. C’est un terroriste, il le dit et nous avons des preuves quant à sa collecte de fonds pour l’achat d’armes», avait alors affirmé le président algérien.

Quant au présumé «gérant de l’entité» Rachad, l’ancien diplomate exilé à Londres Larbi Zitout, il a été condamné à la peine capitale en janvier dernier dans le sillage de sa publication des vidéos de Guermit Bounouira, l'ancien secrétaire particulier du général défunt Ahmed Gaïd Salah. Dans ces vidéos, «la boîte noire» de l’ancien chef d’état-major révèle que l’actuel patron de l’armée algérienne, Saïd Chengriha, est un trafiquant notoire de drogue et d’armes.

Mais là où le régime algérien est devenu la risée de son opinion publique, c’est quand il a classé en tant que terroristes désignés des noms comme celui du journaliste Hichem Aboud et celui d’Amir Boukhors (plus connu sous le nom d’Amir Dz), deux influenceurs très suivis sur les réseaux sociaux en Algérie, comme étant des militants de Rachad.

C’est aussi le cas l’opposant Réda Boudraa, exilé en Suisse, connu pour ses positions modérées, appelant à l’unité du Hirak et au dialogue pour une transition pacifique en Algérie, et qui n’a jamais appartenu à Rachad. Pas plus que Rachid Mesli, avocat international, défenseur des droits de l’homme et consultant auprès de la Commission onusienne des droits de l’homme…

C’est finalement un grosse «ellipse» qui serait à l'origine de ce retrait précipité de cette livraison du Journal officiel comportant une «liste nationale» du terrorisme. En effet, on a beau chercher les noms de vrais terroristes, comme Moktar Belmokhtar ou de Droukdel, ces Ben Laden algériens du Sahel, mais on est étonné qu’aucun des «émirs» algériens qui dirigent ou s’activent au sein d’Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), de Daech ou autres groupes terroristes qui essaiment dans les pays africains frontaliers de l’Algérie et de la Syrie, ne figure dans cette même «liste nationale».

Le retrait précipité de ce fameux numéro du Journal officiel coïncide avec la diffusion sur la chaîne de télévision franco-allemande Arte d'«Alger Confidentiel», une mini-série en quatre épisodes qui met à nu l’instrumentalisation du terrorisme par le régime algérien. La nouvelle liste des «terroristes» montre que le régime algérien applique les mêmes procédés que ceux qu'il employait lors de la décennie noire. Il fabrique donc de fausses entités terroristes à des fins interlopes.

Par Mohammed Ould Boah
Le 20/02/2022 à 12h37