La phobie des manifestations en général, et du réveil de celles du Hirak en particulier, a pesé de tout son poids sur la visite effectuée ce mercredi 10 juillet par le président algérien Abdelmadjid Tebboune à Tizi-Ouzou. Cœur battant de la Kabylie, qui lui avait donné zéro voix lors de la présidentielle du 12 décembre 2019, la ville a boycotté massivement la venue de Tebboune dans ses murs en se muant en ville morte, faute de pouvoir sortir dans la rue et lui crier de vive voix qu’il n’est pas le bienvenu dans cette cité qui fut la dernière à poursuivre les manifestations anti-régime du Hirak, plusieurs semaines après leurs interdictions et blocage dans les autres villes d’Algérie.
Flanqué comme d’habitude du général Saïd Chengriha, chef d’état-major de l’armée, Tebboune a été accueilli à son arrivée à Tizi Ouzou par un groupe de généraux, des unités de l’armée ainsi que quelques représentants locaux de l’administration centrale. Aucune foule ni moindre attroupement de badauds ne l’a acclamé lors de son entrée dans la ville, ou lors de son inauguration d’une infrastructure médicale et d’une autre sportive.
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Le seul accueil, qualifié de «populaire» et «chaleureux» par la télévision publique algérienne, fut celui, transmis en différé et en boucle, de 4 fillettes de 6 à huit ans, récitant un «discours» de bienvenue en l’honneur de «Monsieur Tebboune» et de sa «nouvelle Algérie».
À voir l’édition spéciale consacrée à cet «évènement» par les télévisions publiques et privées locales, on décèle aisément l’amertume chez les présentateurs en manque d’images fortes et de reportages choc, ce qui en dit long sur l’échec de la virée du duo Tebboune-Chengriha à Tizi-Ouzou.
Même les rares habitants locaux, sollicités par les micros-trottoirs de la télévision publique, ont peiné à cacher leur gêne d’apprendre que Tebboune a débarqué, à moins de deux mois de la prochaine présidentielle, dans leur ville, dont plusieurs fils ont été tués ou croupissent encore en prison pour avoir dénoncé l’illégitimité du régime et des généraux.
Cela sans parler de centaines de personnes mortes dans les feux de forêt qui ont eu lieu autour de Tizi-Ouzou au cours de l’été 2021, et que le pouvoir a utilisés comme arme pour terroriser les populations et arrêter définitivement les manifestations du Hirak dans la ville, soumise depuis à un quadrillage policier sans précédent.
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Cette situation a laissé de profondes blessures dans toute la Kabylie, et en tenant à visiter Tizou Ouzou, Abdelmadjid Tebboune voulait faire semblant de tendre la main aux Kabyles que le régime d’Alger n’a cessé de stigmatiser à travers des actes et propos racistes. Le président projetait surtout de faire de cette visite une fin en apothéose de son très terne premier mandat, en vue d’annoncer, à l’occasion, sa candidature pour un autre quinquennat d’échecs à tous les étages.
Il était donc prévisible que l’armée et les services de renseignement se chargent de lui organiser un «accueil populaire et chaleureux» en rameutant les fonctionnaires de l’administration locale, les soldats de l’armée et les agents de la police déguisés en civils, ainsi que leurs familles, venus, pour la plupart, en renfort à partir d’autres villes. Des bus ont été ainsi affrétés pour peupler l’une des artères de Tizi-Ouzou par une population qui n’y habite pas.
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Dans un article paru sur son site mercredi soir, intitulé «Accueil enthousiaste de Tebboune à Tizi-Ouzou dites-vous?», Le Matin d’Algérie écrit que les «vrais habitants» de Tizi-Ouzou ont boudé la visite de Tebboune, mais que le régime a utilisé nombre d’entourloupes pour lui organiser un bain de foule artificiel. «Il y a d’abord ces lettres de réquisition envoyées à tous les fonctionnaires de la wilaya leur intimant l’ordre de se déplacer à Tizi-Ouzou pour participer à l’accueil du chef de l’État. Mais comme cela ne suffisait pas et que les collégiens et lycéens, que les autorités ont l’habitude de faire sortir pour applaudir le président, sont en vacances, il fallait trouver des renforts ailleurs. D’où ces dizaines de bus remplis d’habitants de wilayas limitrophes, mobilisés par les walis pour remplir les rues de Tizi-Ouzou que les véritables habitants ont boudées», ajoute le média, qui précise que toutes ces manigances n’ont pas pu «combler le vide sidéral des rues de la ville des Genêts» durant le passage de Tebboune et sa compagnie.
Le pire, c’est que ceux qui suivaient la couverture de cette visite sur la télévision algérienne ont été surpris par la diffusion de la séquence du «bain de foule» vers 19h30, soit à quelques minutes de la prière du Moghreb, et donc au coucher du soleil.
Or, ce «direct» était un faux, car il s’agissait bien d’une transmission en différé, comme en attestent le soleil d’aplomb et les ombres courtes des accompagnants du président, qui circulaient avec des lunettes de soleil au milieu de l’attroupement orchestré par les faux habitants de Tizi-Ouzou. La diffusion tardive de cette séquence, prétendue en direct, avait certainement pour but de sabrer ou cacher certains ratés.
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Finalement, en quelque cinq ans de pouvoir, Abdelmadjid Tebboune n’aura visité, en tout et pour rien, que Khenchella, Djelfa, Tindouf, et aujourd’hui Tizi-Ouzou, visites sanctionnées chaque fois par du menu fretin en matière d’inaugurations. Ces rares visites, concentrées sur les dix derniers mois, n’ont jamais dépassé quelques petites heures. Cet empressement à déguerpir traduit la conviction chez les pontes du régime d’Alger d’être indésirables par le peuple.
Comme on pouvait s’y attendre, Tebboune a donc lamentablement échoué aujourd’hui à amadouer les habitants de Tizi-Ouzou. Le fait qu’il ait rendu hommage à l’une des figures historiques de la révolution algérienne et de la Kabylie, feu Houcine Aït Ahmed, dont le nouveau stade de Tizi-Ouzou portera le nom, a même été vu par certains habitants de la wilaya rebelle comme un déshonneur. D’ailleurs, c’est dans un isolement total que Tebboune a inauguré cette infrastructure sportive, au milieu d’une poignée d’anciens joueurs de la Jeunesse sportive de Kabylie, club-fanion de la ville.
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Certes, le parti créé par Houcine Aït Ahmed, le Front des forces socialistes (FFS), a décidé il y a quelques semaines de mettre fin à sa série de boycotts de ce qu’il considérait comme des «mascarades électorales» de l’armée, pour participer à la prochaine présidentielle. Un revirement non désiré, mais auquel la formation a été contrainte, car elle aurait été menacée par les services de renseignement algériens, en cas de nouveau boycott électoral, de se faire accoler une accointance avec Ferhat Mehenni, le chef du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), qui milite pacifiquement pour l’indépendance de la Kabylie, et que le régime d’Alger considère comme un mouvement «terroriste».
Mais cela ne changera rien à l’irrédentisme de la Kabylie, comme l’explique le site Tamurt.info, porte-voix de la Kabylie, dans son édition du 9 juillet. Selon ce média, si Abdelmadjid Tebboune a longtemps et logiquement hésité à se rendre à Tizi-Ouzou, c’est parce qu’il «n’est pas encore remis de son humiliation de 2019 où il a obtenu zéro voix à travers toute la Kabylie. Cette fois, il a réussi à faire participer un parti kabyle à la prochaine élection, le FFS, pour faire croire surtout à l’opinion internationale que le peuple kabyle vote comme tous les Algériens, ce qui n’est évidemment pas le cas».