Algérie: quand le système judiciaire tremble à l’approche du deuxième anniversaire du Hirak

Walid Nekkiche, l'icône du Hirak qui a mis à nu le visage hideux de l'armée algérienne.

Walid Nekkiche, l'icône du Hirak qui a mis à nu le visage hideux de l'armée algérienne. . DR

Une peine de prison à perpétuité requise par le Procureur, pour un jeune en détention provisoire depuis 14 mois. L’affaire Walid Nekiche révèle l’ampleur des dysfonctionnements de la justice algérienne, mais aussi l’état de panique qui règne dans les sphères du pouvoir.

Le 03/02/2021 à 11h14

Le procès kafkaïen de Walid Nekiche, qui s’est déroulé dans la nuit du 1er au 2 février 2021, au tribunal Dar El Beida d'Alger est révélateur à plus d’un égard. Non seulement, il met à nu les profonds dysfonctionnements qui minent le système judiciaire algérien, mais surtout, il dévoile les craintes du régime quant à une inévitable reprise des manifestations du Hirak.

Walid est d’ailleurs une icône du Hirak: il est le plus ancien détenu de ce mouvement protestataire. Arrêté le 26 novembre 2019, lors d’une marche d'étudiants algériens, il s'est ensuite retrouvé poursuivi pour sa «participation à un complot pour inciter les citoyens ou les habitants pour prendre les armes contre l’autorité de l’Etat et organisation d’une manière secrète de communication à distance dans le but de porter atteinte à la sécurité nationale», mais aussi pour cette autre (grave) accusation: l'«atteinte à la sécurité et l’unité nationale».

Au cours de son procès, ce jeune, à peine âgé de 25 ans, a relaté les sévices sexuels et autres tortures qu’il a subies dans la caserne Antar, la plus importante base de l’ex-DRS à Alger, où des agents de la DGSI (les services du renseignement intérieur, dirigés par le général Wassini Bouazza, aujourd’hui en prison), lui ont extorqué des aveux.

Son récit, poignant et glaçant, a suscité une vague d’indignation, mais a laissé de marbre le Procureur de la République. Alors qu’il devait se faire tout petit dans sa robe de magistrat en écoutant les détails des dérives des sécuritaires censés être sous son autorité, le Procureur a requis, sans sourciller, une peine de prison à perpétuité contre Walid Nekiche, ainsi que son codétenu, Kamel Bensaad... Alors que leur seul «crime» a été d’avoir pris part aux manifestations pacifiques du Hirak.

C’est d’ailleurs le seul tort que leur reprochera finalement la justice, qui a fini par rendre son verdict. Une justice acculée à rétropédaler après une vague d’indignation et de protestations, sans équivalent, sur les réseaux sociaux. Et si Kamel Bensaad a finalement été acquitté, Walid Nekiche, lui, a finalement été condamné à six mois de prison au motif d'une «distribution et possession de tracts pour porter atteinte à l’intérêt du pays». Les deux hommes ont ainsi recouvré leur liberté, puisqu’ils avaient déjà passé près de 14 mois en détention provisoire.

Au-delà des interrogations sur «les contradictions internes de cette justice algérienne, fonctionnant selon une logique absurde», comme l’écrit un média du pays, la réaction du Procureur démontre le niveau de panique qui règne actuellement dans les sphères du pouvoir. Si le représentant du Parquet algérien a requis cette peine aussi disproportionnée, c’est parce qu’il considère Walid Nekiche comme étant un membre du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK). Le fait est d'ailleurs clairement mentionné dans l'arrêt de renvoi. Dans les procès-verbaux des enquêteurs de la DGSI, Walid Nekiche est aussi présenté comme «jeune terroriste embrigadé par le MAK», dans le but de saboter les élections présidentielles du 12 décembre 2019 en «infiltrant le Hirak».

Le MAK (Mouvement d’autodétermination de la Kabylie) fait, à juste titre, trembler le pouvoir, en le mettant face à ses propres contradictions. Ce mouvement, dirigé par un artiste chanteur, Ferhat Mehenni, réclame l’autonomie de la Kabylie, une région qui subit à intervalles réguliers la chape répressive de la junte militaire.

Suite au printemps noir en Kabylie (2001-2002), qui s'était soldé par le triste bilan de 126 morts et 5.000 blessés parmi les manifestants, Ferhat Mehenni avait fondé le MAK. Alors que l’Algérie ne cesse de proclamer, la main sur le cœur, qu’elle soutient le Polisario au nom d'un sacro-saint principe d'un droit des peuples à l’autodétermination, elle réprime, dans le même temps et sévèrement, toute voix qui appelle à l’autodétermination de la Kabylie.

La peine surréaliste qui a été requise par le Procureur contre ce manifestant du Hirak, qui serait sympathisant du MAK, était supposée dissuader les voix qui appellent à l’autodétermination de la Kabylie. La requête, qui a été abandonné, a fini par donner le pouls de l’état d’esprit des gérontocrates au pouvoir: la panique.

Le retour des manifestations dans le pays, illustré par les récentes manifestations à Laghouat, les marches nocturnes de Jijel, dans cette même Kabylie, ainsi que l’attaque du siège de Sonatrach en plein cœur d’Alger, font en effet craindre le pire aux caciques du régime. D’autant que la crise socio-économique sans précédent que traverse le pays, favorise une renaissance du Hirak, qui s’apprête à fêter son deuxième anniversaire le 22 février. Mais cette crise permet aussi une amplification des revendications du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie… Ce MAK, qui fait de plus en plus trembler Alger.

Par Mohamed Chakir Alaoui
Le 03/02/2021 à 11h14