D’aucuns s’attendaient à ce que le chef d’état-major algérien sorte enfin de son double-jeu et révèle, une bonne fois pour toutes, s’il veut placer l’armée aux côtés, ou contre, le peuple algérien. Il n’en a rien été.
Dans un discours prononcé ce mardi 16 avril, le quatrième du genre depuis l’éclatement du mouvement de protestation populaire, depuis la quatrième région militaire algérien, à Ouargla, Ahmed Gaïd Salah est resté pour le moins flou sur cette question.
Là où il a été on ne peut plus clair, dans un discours publié par le ministère algérien de la Défense et repris par l'agence APS, même si le passage a été soigneusement purgé des vidéos qui circulent, c’est quand il a de nouveau parlé de «complot visant la stabilité de l’Algérie». Mais cette fois, l’ennemi n’est pas cet étranger qui veut tant de mal aux Algériens. L’ennemi est bien un enfant du pays et il porte un nom: l’ancien tout-puissant patron du DRS (Département du renseignement et de la sécurité), le général à la retraite Mohamed Mediène, dit Toufik.
Exit donc le Maroc, les ONG étrangères ou encore de la France, et place est de nouveau faite aux comploteurs de l’intérieur. «J’ai déjà évoqué, lors de mon intervention du 30 mars 2019, les réunions suspectes qui se tiennent dans l’ombre pour conspirer autour des revendications du peuple et afin d’entraver les solutions de l’Armée Nationale Populaire et les propositions de sortie de crise», clame, en introduction, Gaïd Salah.
Puis de désigner directement «ces parties, à leur tête l’ex-Chef du Département du Renseignement et de la Sécurité», qui ont tenté, «en vain, de nier leur présence dans ces réunions, et d’induire en erreur l’opinion publique, en dépit de l’existence de preuves irréfutables sur ces faits abjects».
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«Nous avons affirmé, ce jour-là, que nous allions dévoiler la vérité, et les voici continuer à s’agiter contre la volonté du peuple et œuvrer à attiser la situation, en approchant des parties suspectes, et inciter à entraver les solutions de sortie de crise», précise le chef d’état-major. Et de lancer un véritable ultimatum à ce dernier, le menaçant du pire. «Je lance à cette personne un dernier avertissement, et dans le cas où il persiste dans ses agissements, des mesures légales fermes seront prises à son encontre», menace-t-il.
Si le reste du discours est d’un ton douceâtre (l’armée est là pour protéger les Algériens lors de leurs marches, toutes les perspectives pour une transition restent ouvertes, etc.), c’est donc surtout contre le général Toufik que la haine de Gaïd Salah est dirigée.
Connaître les deux protagonistes, c’est mesurer à quels dangers l’Algérie est aujourd’hui exposée. Gaïd Salah détient aujourd’hui les rênes du pouvoir, et à cet égard, c’est de sa position à l’égard des manifestations en cours que dépendra l’avenir de ce pays. Mais s’il en est là aujourd’hui, c’est essentiellement au détriment de ce même Toufik, qu’il dénonce aujourd’hui.
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L’ascension de Gaïd Salah s’est faite au fur et à mesure que chutait l’ancien tout-puissant patron du DRS, celui que les Algériens nommaient «Rebb D’zaïr»: le dieu de l’Algérie. Parce qu’il centralisait tous les services de renseignement du pays, Mohamed Mediène contrôlait absolument tout. Il faisait et défaisait présidents et gouvernements, et régnait en maître sur une Algérie alors en proie à sa pire époque depuis l’indépendance: la décennie noire. Mohamed Mediène est d’ailleurs soupçonné de crimes de guerre durant cette période.
Mais depuis, sa flamme a commencé peu à peu à s’éteindre. Abdelaziz Bouteflika est passé par là, et a entre-temps récupéré tous les services autrefois dirigés par le général Toufik. La désignation de Gaïd Salah en tant que vice-ministre de la Défense a d’ailleurs sonné le glas de la carrière de Mediène.
Depuis, une guerre larvée entre les deux hommes se joue. Celle-ci a atteint son point culminant en 2013, lorsque le général Toufik n'a pas soutenu un Bouteflika, victime d'un AVC, à briguer un 4ème mandat. Gaïd Salah a soutenu le choix de Bouteflika, permettant ainsi un quatrième mandat à son bienfaiteur.
Toufik a-t-il perdu tous ses appuis pour autant? Quid de son influence auprès de certains cercles du pouvoir, et de sa capacité de nuisance par rapport au scénario de sortie de crise que le régime tente encore de défendre? A voir la fixation que fait Gaïd Salah sur lui, le doute est permis. Le décodage du ton ferme dont le chef d'état major vient de faire usage, c’est le spectre d’une nuit des longs couteaux qui plane à l’horizon.