Nasser El Djinn, connu pour traîner un sinistre passif de criminel sanguinaire durant la décennie noire (1992-2002), a été instrumentalisé ces quatre dernières années par le président Abdelmadjid Tebboune et le chef d’état-major de l’armée, Saïd Chengriha. Ils l’ont délibérément réhabilité et exposé publiquement, dans le but d’apeurer les Algériens. Déjà muselés par des pratiques ultra-répressives, ces derniers sont peu enclins à laisser les généraux reproduire les massacres de cette période sombre.
C’est pour cette raison que Nasser El Djinn a été nommé en 2021, dès son retour d’Espagne, à la tête de la «machine de la mort» (le Centre principal d’investigations militaire de Ben Aknoun), haut lieu de la torture à Alger où il a sévi durant les années 90, et ce, alors que le Hirak était encore actif.
Nasser El Djinn n’était clairement pas l’homme pour diriger la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Sa spécialité réside dans les opérations de terrain violentes, les arrestations musclées, les interrogatoires brutaux, et même les assassinats d’opposants. De nombreux témoignages d’anciens militaires attribuent à ce tueur en série la macabre pratique, également appréciée par Saïd Chengriha, d’exécuter toute personne arrêtée d’une balle dans la tête.
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La confirmation de l’emprisonnement de ce général très violent n’est donc pas une mauvaise nouvelle, même si les raisons de cette brutale disgrâce de l’ex-patron de la DGSI restent sujettes à spéculations.
Ce n’est pas non plus une surprise, au sens où l’Algérie est le seul pays au monde où 5 anciens patrons des renseignements (extérieurs, intérieurs et de la sécurité de l’armée) croupissent actuellement en prison, dont certains avec de lourdes peines. Il s’agit des généraux Wassini Bouazza (DGSI), Abdelkader Haddad (DGSI), Mohamed Bouzit dit Youcef (DDSE), Benmiloud Othmane, dit Kamel Kaniche (DCSA) et le colonel Nabil Boubekeur, alias Bob (DCSA).
Le même sort pourrait être réservé prochainement au général Djebbar M’henna, limogé de la Direction de la Documentation et de la Sécurité Extérieure (DDSE) le 19 septembre dernier, soit 12 jours seulement après le second parachutage chaotique de Tebboune à la présidence.
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Trois autres anciens patrons des renseignements ont échappé jusqu’ici à la prison en raison de graves maladies. C’est le cas des généraux Abdeghani Rachedi, Djamel Kehal Medjdoub et Sid-Ali ould Zemirli. Ce dernier a repris, en mars 2020, les rênes de la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA), succédant ainsi au général Mohamed Kaidi, l’un des plus jeunes et plus compétents généraux de l’armée algérienne, aujourd’hui condamné à la retraite et frappé d’une interdiction de sortie du territoire national.
Ould Zemirli a été limogé en septembre 2022 et remplacé par Abdelaziz Nouiouet Chouiter, renvoyé à son tour en mars 2023 au profit du colonel (devenu depuis général-major), Mahrez Djeribi.
Entre mars 2020 et mars 2023, soit en l’espace de trois années seulement, la DCSA, chargée de la sécurité et du contre-espionnage militaires, a changé quatre fois de patron. Ce qui n’est pas son meilleur score d’instabilité, puisque pour la seule année 2019, la DCSA a vu se succéder à sa tête pas moins de quatre généraux: Sid-Ali ould Zemirli, Abdelwahab Babouri, Boubekeur Nabil et Mohamed Kaidi.
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Le record de longévité à la tête de cette officine, qui compte aujourd’hui deux anciens chefs emprisonnés, revient à Djebbar M’henna. Il l’a dirigée de 1995 à 2013, mais uniquement par procuration. À cette époque, Djebbar M’henna était le simple exécutant des ordres directs du général Mohamed Mediène, dit Toufik. Cet ancien superpuissant patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) coiffait tous les services de renseignement algériens et avait la mainmise sur l’armée, le pouvoir politique et économique.
L’instabilité au sein de la DCSA a également déteint sur la DGSI. Le général Abdelghani Rachedi, premier chef de la DGSI installé par Chengriha suite à son coup de force contre Wassini Bouazza, a cédé son poste en 2022 au général Djemal Kehal Medjdoub, dont la maladie a permis l’ascension de Nasser El Djinn à la tête de la DGSI. Cette dernière compte, elle aussi, deux anciens patrons en prison.
Pour sa part, la DDSE a vu défiler pas moins de six généraux à sa tête depuis l’avènement du duo Tebboune-Chengriha à la présidence de l’Algérie. Il s’agit successivement de Mohamed Bouzit dit Youcef, qui y a passé neuf mois avant de finir en prison, Noureddine Makri (16 mois), Djamel Kehal Medjdoub (3 mois), Abdelghani Rachedi (3 mois également), Djebbar M’henna (24 mois) et Rochdi Fethi Moussaoui (depuis 10 mois). Un tel turn-over à la tête des services de renseignement est sans précédent dans le monde.
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Compte tenu de cette longue histoire de purges, souvent synonymes de prison, les actuels dirigeants des services de renseignement algériens – les généraux Abdelkader Aït Ouarabi (DGSI), Fethi Moussaoui (DDSE) et Mahrez Djeribi (DCSA) – doivent vivre dans la peur constante. Ils savent que leur avenir se profile, au mieux, par une interdiction de sortie du territoire, et plus fréquemment, par une incarcération. Cette sombre perspective ne peut qu’affecter leur efficacité et celle de leurs équipes. Sachant les jours de leurs supérieurs comptés, beaucoup préfèrent s’en éloigner pour éviter de subir le même sort. L’exemple des officiers qui entouraient Wassini Bouazza, aujourd’hui emprisonnés avec lui, est une source de démotivation supplémentaire.
Faut-il s’étonner alors que les renseignements algériens figurent aujourd’hui parmi les plus faibles du monde? Ils sont, de surcroît, soumis aux manœuvres puériles de l’entourage de Tebboune, qui multiplie la diffusion sur les chaînes publiques de télévision de scénarios médiocres et affligeants, vantant leur prétendue compétence.
Les interminables règlements de comptes entre généraux ont gangréné l’armée algérienne, affaiblissant les chaînes de commandement, démotivant les officiers, distrayant de leurs fonctions les chefs, générant une incertitude douloureuse pour leurs enfants et leurs familles. La seule certitude aujourd’hui: à la première épreuve, l’armée algérienne se révélera désastreuse.
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Depuis le printemps 2020, la vaste purge au sein de l’armée algérienne a ciblé spécifiquement les officiers proches de l’ancien chef d’état-major, le général Ahmed Gaïd Salah. Ces derniers ont été emprisonnés les uns après les autres et remplacés par les hommes de l’ancien patron du DRS, Mohamed Mediène «Toufik», fraîchement sortis de prison après le décès de Gaïd Salah.
Aujourd’hui on assite à un retour de manivelle: deux figures emblématiques de l’ex-DRS (Djebbar M’henna et Nasser El Djinn) viennent d’être successivement éloignés des sphères du pouvoir.
Même les hommes de confiance de Chengriha, comme Sid-Ali ould Zemirli, Noureddine Makri et Yahya Ali Oulhadj, ont été renvoyés sans ménagement et menacés de prison.
Cette situation démontre clairement que la proximité des clans de Tebboune, Chengriha ou Toufik n’a aucune signification dans ce régime où la confiance est inexistante. La seule certitude est une instabilité chronique, laissant présager que Tebboune n’achèvera pas son deuxième mandat.








