Le MAK, c’est aujourd’hui le porte-étendard d’une lutte de plus quatre décennies: celle d’une communauté qui entend prendre en charge son destin dans un pays répressif, oppresseur, incapable d’édifier un projet de société démocratique, solidaire, fondé sur l’Etat de droit et les principes d’équité et de justice. La Kabylie n’est pas une région: c’est l’histoire d’un territoire que les Kabyles appellent traditionnellement «Tamurt» (pays). Une lutte. Une lutte identitaire d’un peuple kabyle de plus de 12 millions de personnes sur un territoire de quelque 40.000 km2. Oui, à n’en pas douter, il faut faire référence à la qualification de « peuple ». Celle-ci tient d’abord à une donnée objective, à des facteurs historiques, ethniques, linguistiques et culturels; elle regarde ensuite un vouloir-vivre collectif, un fort sentiment d’appartenance ainsi qu’à un attachement et à une vision partagée autour d’un avenir commun, un destin... Ce peuple kabyle veut son émancipation, son autonomie, son autodétermination. Il considère que les pré-requis qu’il réunit sont légitimes par rapport aux principes de la Charte des Nations unies et du droit international.
Ce peuple entend se séparer de l’Algérie actuelle. C’est un peuple autochtone dont l’existence est niée et même reniée par le pouvoir actuel. Et toute l’histoire depuis le milieu du siècle précédent témoigne bien de cette situation, marquée par une revendication identitaire: en 1949 avec la crise dite « berbériste », puis en 1963 avec le soulèvement du FFS de Hocine Ait Ahmed, le « printemps berbère » de 1980 et le printemps noir d’avril 2001 avec plus de 120 jeunes victimes. Durant trois ans, le territoire kabyle a ainsi vécu pratiquement en autonomie de fait sur la base d’une organisation sociale et politique kabyle ancestrale, les « Archs ». C’est d’ailleurs à cette date, en juin 2001, qu’est créé le Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie (MAK) qui porte depuis le projet de l’autonomie régionale. Il évolue ensuite vers l’autodétermination avec l’objectif de l’indépendance. Son président est Ferhat Mehenni, militant historique depuis des décennies et cofondateur de la Ligue algérienne des droits de l’homme - la plus représentative dans ce domaine et frappée de dissolution à la fin septembre dernier. Responsable politique, écrivain, poète-chanteur kabyle, il a été lauréat du prix Gusi de la paix en 2013.
L’étau de la répression n’a pratiquement jamais cessé en Kabylie et contre les militants de la mouvance autonomiste qui s’en réclament. Les officiels d’Alger durcissent les mesures et développent même des appels à caractère raciste anti-kabyle. Des députés et des membres du gouvernement se distinguent dans ce registre en toute impunité. Telle cette parlementaire Naima Salhi, présidente du Parti de l’équité et de la proclamation, déversant sa haine en appelant à exterminer les Kabyles, qualifiés de « juifs de la pire espèce »... A noter que du côté des islamistes, c’est un discours tout aussi éradicateur qui est repris: le leader du parti Rachad, Mohamed Larbi Zitout, appelle, pour sa part, à « prendre les armes contre les séparatistes du MAK ».
L’opposition kabyle est diabolisée et criminalisée. L’appareil sécuritaire monte une « affaire » de saisie d’armes de guerre et d’explosifs destinés à l’exécution de plans criminels et terroristes en faisant référence à des aveux d’un dénommé « H. Nourredine », présenté comme un ex-membre du MAK. Ce mouvement réagit, contre-attaque et met au défi le pouvoir algérien de présenter les preuves de telles accusations. Il rappelle que depuis sa création, vingt ans auparavant, son action repose sur la lutte politique et pacifique pour « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». La télévision officielle se résout à diffuser une interview du prétendu ex-membre au MAK qui livre alors une version rocambolesque: c’est en se « promenant qu’il serait tombé sur des armes qu’il comptait revendre »... Amateurisme: il est établi que ce n’est qu’un trafiquant et un repris de justice.
Le 11 mai 2021, le site du journal officiel de l’ANAVAD (Gouvernement provisoire kabyle) publie la promulgation de la loi régissant le scrutin au référendum pour l’autodétermination de la Kabylie. Une semaine plus tard, le Haut Conseil de Sécurité (HCS), présidé par Abdelmajid Tebboune, classe le MAK sur la « liste des organisations terroristes ». Ferhat Mehenni est placé en garde à vue à Paris puis relâché. Alger n’a pas réussi à instrumentaliser la convention d’extradition bilatérale avec la France en agitant le « spectre » du terrorisme du MAK pour extrader son dirigeant. Le 24 mai 2021, ce dernier saisit le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, pour dénoncer la classification du mouvement pacifiste MAK en tant que mouvement terroriste. Il rappelle que l’autodétermination relève de l’action politique: « Pour assumer nos responsabilités, nous avons demandé à nos cadres et partisans de ne jamais verser dans la clandestinité et d’assumer en femmes et en hommes de paix nos choix politiques et pacifiques, et ce, quelle que soit la férocité de la répression. » Il invite la Commission des droits de l’homme de l’ONU à étudier qui du MAK ou du pouvoir algérien « devrait être mis au ban de la communauté internationale ». Le 10 juin 2021, le Code pénal algérien est modifié avec une nouvelle définition de l’acte terroriste: « Est considéré comme acte terroriste ou sabotage tout acte visant la sûreté de l’Etat, l’unité nationale, la stabilité et le fonctionnement normal des institutions par toute action ayant pour objet de: (...) œuvrer ou inciter, par quelque moyen que ce soit, à accéder au pouvoir ou à changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels; porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’inciter à le faire, par quelque moyen que ce soit ». Des centaines de militants du MAK sont alors emprisonnés. La Kabylie boycotte l’élection présidentielle de décembre 2019 ainsi que le référendum constitutionnel. La justice condamne à mort Ferhat Mehenni et 49 autres dirigeants du MAK.
Le rapport du Département d’Etat américain, publié voici trois semaines, rejette la classification du MAK comme organisation terroriste par le régime des généraux. Aux Etats-Unis et en Amérique du Nord, de nombreux groupes de défense des droits humains ont pris position en faveur du mouvement kabyle et du Hirak du 22 février 2019 (Amnesty International, Human Rights Watch,...). Le Président du MAK vient de saisir la IVème Commission de l’ONU, à l’occasion de la Journée internationale du droit des peuples à l’autodétermination, sur la question kabyle. Il demande l’examen de la situation dans ce territoire au titre de la décolonisation. Un gros pavé dans la mare qui place Alger face à une contradiction: comment défendre l’autodétermination du mouvement séparatiste du « Polisario », de quelque 40.000 réfugiés dans les camps de Tindouf, en territoire algérien, et s’opposer à celle du peuple kabyle? Dans le premier cas, c’est une entité fantoche où l’on ne compte que 20% de Sahraouis alors que dans le second, c’est une communauté historique, culturelle et identitaire qui a ses titres de légitimité. Une juste cause...