Qui ne connait pas ou n’a pas entendu parler de «Prison Break», ce célèbre feuilleton télévisé nord-américain qui relate l’évasion ingénieuse d’un prisonnier, injustement condamné pour un meurtre qu’il n’a pas commis, et qui, du couloir de la mort, voyait s’approcher inexorablement l’heure fatidique de son exécution? Pour une fois, comparaison est bien raison, car cette «Grande évasion» (un autre titre d’un film culte) qui vient de se dérouler en Algérie, État-prison à ciel ouvert, est un acte désespéré de survie. Celui de sept adolescents algériens, tous âgés de moins de 18 ans, ayant réussi la prouesse de lever l’ancre à partir d’un port de la capitale algérienne, pour mettre le cap sur l’ile d’Ibiza en Espagne, à bord d’un petit chalutier de pêche volé pour les besoins de leur escapade.
Ces adolescents ont infligé au régime algérien un premier bras d’honneur, ridiculisant une armée que le pouvoir présente comme invincible et suréquipée. Avec ses 25 milliards de dollars de budget annuel, elle n’a pourtant pas été capable de repérer une simple embarcation de harragas quittant, en toute impunité, le plus grand port du pays: celui d’Alger, la capitale.
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Autre bras d’honneur: ces navigateurs en herbe ont eux-mêmes alimenté les réseaux sociaux en vidéos où ils narguent le régime algérien et relatent leur traversée sans encombre vers les rivages de l’île espagnole d’Ibiza.
En Algérie, ils sont vus comme des héros et des chanceux par des millions de leurs compatriotes, prêts à défier la mort pour fuir la dictature, le chômage et la pauvreté, comme l’ont déjà tenté des centaines de milliers d’Algériens dans un pays, pourtant riche en ressources fossiles. Au pays du gaz et du pétrole, les jeunes préfèrent jouer leur vie à pile ou face, défier les innombrables périls de la mer dans l’espoir de rejoindre des îles, situées à plus de 300 km.
Qui a oublié ces épisodes spectaculaires d’immigration clandestine à partir même des aéroports algériens, pourtant présentés comme les plus sécurisés du pays? En mars 2022, un mineur de 16 ans avait réussi à effectuer le trajet Constantine-Paris en se dissimulant dans la soute d’un avion d’Air Algérie. Trois mois plus tard, en juin, deux corps sans vie de clandestins algériens étaient découverts dans la soute d’un appareil ayant assuré un aller-retour Alger-Paris. Plus récemment, le 28 décembre 2023, c’est un autre clandestin qui a été retrouvé à l’aéroport d’Orly, quasiment congelé mais toujours vivant, après avoir voyagé dans le train d’atterrissage d’un avion d’Air Algérie en provenance d’Oran.
Ces quelques cas extrêmes ne doivent pas cacher les dizaines de milliers de harragas algériens qui arrivent chaque année sur les côtes européennes.
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Selon le Forum méditerranéen de la migration et du développement, l’Algérie est le premier pays d’Afrique du nord pourvoyeur de clandestins en Europe. En 2023, plus de 13.000 harragas algériens ont débarqué sur les côtes espagnoles. Selon «Caminando Fronteras», un réseau spécialisé dans les cas de disparitions en mer, 6.000 disparus algériens en Méditerranée ont été recensés en 2023.
Ces chiffres, et particulièrement ceux des arrivées en Espagne par «la route des Baléares», ont connu une explosion de 120% en 2024, par rapport à 2023.
Les harragas algériens savent parfaitement qu’en Europe, ils ne seront ni accueillis à bras ouverts ni traités avec égards. Stigmatisés, parfois honnis, ils n’ignorent rien du rejet qui les attend. Et pourtant, ils préfèrent affronter l’inconnu, la faim et même la mort plutôt que de croupir dans un pays gangrené par une sclérose chronique, dirigé par une gérontocratie incapable de dessiner le moindre avenir à sa jeunesse. Voilà pourquoi la Méditerranée, entre les côtes algériennes et les Baléares, s’est muée en cimetière marin: le désespoir, plus que la mer, en a fait l’une des routes les plus meurtrières au monde.
Sur les réseaux sociaux, le débat sur le phénomène de la harga fait rage dans un pays qui se proclame 3ème économie africaine, producteur de pétrole et de gaz depuis plus d’un demi-siècle.
Tout le monde s’accorde à dire que la cause principale qui pousse les Algériens à la Harga, n’est autre que la hogra de leur junte dirigeante.
Cette nomenklatura inamovible, cramponnée au pouvoir depuis 1962 par le feu et le sang, continue de vider l’Algérie de sa substance économique et politique. Elle saigne le pays à blanc et n’abandonne à son peuple que des miettes. Symbole de ce mépris, la dérisoire allocation chômage promise par Tebboune aux jeunes: 13.000 dinars à peine, soit l’équivalent de 500 dirhams, une aumône qui illustre l’abîme entre les élites prédatrices et une jeunesse sacrifiée.
Alors qu’il s’apprêtait à célébrer en grande pompe le premier anniversaire de son re-parachutage à la Mouradia, Abdelmadjid Tebboune s’est vu rattrapé par sa gouvernance chaotique et ses «réalisations» de papier. Sur le plan interne, l’évasion spectaculaire de harragas mineurs et l’accident meurtrier du bus vétuste d’El Harrach – 18 morts à déplorer – ont mis à nu l’impéritie gestionnaire du régime. À l’international, la saisine de la Cour internationale de justice par le Mali, accusant Alger d’agression et de soutien au terrorisme, est venue porter un coup sévère au pouvoir, au moment même où il s’efforçait de parader auprès de délégations africaines et arabes.
Mais, comme à son habitude, le régime d’Alger, pour se sortir momentanément du pétrin, a encore brandi la théorie du complot pour accuser, à travers ses médias à la solde, les mains étrangères qui seraient derrière l’évasion des sept harragas. Deux quotidiens Al Khabar et El Watan, ont publié le même article qui accuse le Maroc et la France d’être les instigateurs de cette harga, en vue de «nuire à l’image de l’Algérie».
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Le quotidien Echorouk n’a pas manqué de surfer sur l’actualité. Profitant de la tenue en Algérie d’une rencontre consacrée au commerce intra-africain, il a osé un titre pour le moins déconcertant: «Des jeunes ont choisi l’Afrique au détriment des pateras de la mort… l’exemple de quatre expériences réussies».
Quant à Abdelkader Bengrina, porte-voix islamiste attitré du régime et chef du mouvement El Binaa, il a franchi un pas supplémentaire en réclamant l’extradition pure et simple des sept harragas mineurs. Selon lui, cette affaire aurait été instrumentalisée par les «ennemis du pays», accusés d’avoir orchestré l’effervescence provoquée par cette évasion sur les réseaux sociaux.
Cette obsession maladive qui consiste à toujours accuser les mains étrangères est une autre façon d’insulter l’intelligence des Algériens. Mais cette antienne du régime a été cette fois-ci durement réprouvée par des milliers de voix sur les réseaux sociaux. Dans un pays où 90% de la population rêve de s’expatrier, il est difficile effectivement de considérer que derrière chaque embarcation de harragas se trouve une main étrangère. D’autant plus que la quasi-majorité de la jeunesse algérienne s’identifie et envie le sort heureux des sept adolescents qui ont rejoint Ibiza. Pour cette jeunesse, le régime a supprimé sans rémission en Algérie le mot espoir.








