Avec le renvoi brutal d’Abderrahmane Raouya, ministre des Finances, annoncé mardi 14 juin à la surprise générale, le président algérien Abdelmadjid Tebboune se sépare pour la deuxième fois, en deux années, de l’un de ses hommes de confiance.
C’est bien en effet Tebboune qui, durant son éphémère passage à la primature en 2017, avait nommé Abderrahmane Raouya au ministère des Finances, poste où il restera jusqu’en 2019 et la chute du président Abdelaziz Bouteflika.
Après son élection en 2019, Tebboune rappelle Raouya dans le premier gouvernement Abdelaziz Djerad formé en janvier 2020, toujours en tant que ministre des Finances, poste qu'il occupera jusqu’au premier remaniement ministériel initié par la présidence algérienne en juin 2020. Mi-février dernier, Raouya est à nouveau sollicité pour reprendre le portefeuille des Finances jusqu’ici cumulé par le Premier ministre, Aïmene Benabderrahmane.
«Brutal», «surprenant», «énigmatique»… Les rares médias algériens qui osent encore s’étonner du mode de gouvernance de Tebboune se sont perdus en conjectures pour tenter d’expliquer l’inexplicable. En effet, Il faut vraiment être dans le secret des dieux pour comprendre cette hémorragie sans précédent, érigée en management par la terreur, et qui ne cesse de frapper aveuglement, à un rythme effréné, les détenteurs des hautes fonctions aussi bien militaires que civiles.
En deux ans et demi de pouvoir, et hors les quatre remaniements et mini-remaniements ministériels qu’il a déjà opérés, Tebboune a renvoyé, brutalement, plusieurs ministres comme Achek Youssef (Travail) en juillet 2020, Lazhar Hani (Transports) en janvier 2021, Amar Belhimer (Communication et porte-parole du gouvernement), Abdelhamid Hamdani (Agriculture) et Abderrahmane Halfaya (Travail) en novembre 2021, Aïssa Bekkai, (Transports) en mars 2022, sans parler du gouverneur de la Banque d’Algérie, Rostom Fadli (mai 2022), et autres nombreux PDG d’entreprises publiques renvoyés ces dernières semaines.
Pire, à chaque renvoi d’un haut responsable, c’est l’un de ses subalternes qui est appelé à la rescousse et immédiatement promu par intérim à sa place, en attendant de trouver un autre profil à qui il va falloir encore endosser les errements du régime et ses choix hasardeux.
C’est ainsi que pour expliquer le limogeage de Raouya, certains observateurs ont cru savoir que la récente décision de l’Association des banques et établissements financiers (ABEF) de suspendre les domiciliations bancaires d’entrepreneurs algériens importateurs et exportateurs de et vers l’Espagne en serait la cause. Le ministre des Finances a-t-il refusé d’apporter sa caution à ces mesures radicales et préjudiciables à l’économie algérienne?
Ce qui est certain, c’est que le duo Tebboune-Chengriha a fait d’une pierre deux coups en se débarrassant de Raouya. D’une part, il est sanctionné pour avoir contrarié la décision du Haut Conseil de sécurité algérien, qui a suspendu, mercredi dernier, le traité de coopération avec l’Espagne. D’autre part, et malgré le rétropédalage officiellement amorcé, samedi dernier, par le ministère algérien des Affaires étrangères, niant tout gel des relations commerciales avec l’Espagne, Raouya, qui aurait pourtant mis en garde contre cette décision, se trouve sacrifié par Tebboune sur l’autel des actes irréfléchis du Haut Conseil de sécurité.
Ce Conseil, pour rappel, est un anti-aréopage formé du président, son directeur de cabinet, trois ministres (Intérieur, Affaires étrangères, Justice) et 7 galonnés dont les chefs de l’armée algérienne, de la gendarmerie, de la police, et quatre généraux chefs des services de renseignement (DGSI, DDSE, DCA et lutte anti-subversion).
Il n’est donc pas étonnant que la politique des décisions brutales soit érigée en principal levier de la gouvernance par la terreur déployée par le tandem Tebboune-Chengriha, où l’imprévision et la navigation à vue sont les maîtres-mots.
N’a-t-on pas vu et entendu Tebboune, lundi dernier à la Foire internationale d’Alger, s’adresser à des opérateurs américains pour leur dire, comme dans un marchandage à la sauvette au coin d’une ruelle, que s’ils ont des avions bombardiers d’eau disponibles, il les achète «tout de suite»?