Algérie: des experts de l’ONU attestent de la légitimité du Hirak et exigent la libération de ses militants et sympathisants

L'artiste franco-algérienne Djamila Bentouis a été condamnée à 2 ans de prison ferme pour avoir écrit une chanson pro-Hirak.

En prévision de l’appel introduit auprès du Conseil judiciaire d’Alger (Cour d’appel), et qui devait être examiné le mercredi 2 octobre, un groupe d’experts de l’ONU a exigé, lundi dernier, la libération immédiate de Djamila Bentouis, condamnée à deux ans de prison pour avoir mis son talent de poétesse-interprète au service du Hirak populaire. En filigrane de cette demande d’annulation d’une condamnation se dessine l’exigence de la libération de tous les détenus d’opinion actuellement incarcérés en Algérie, en vertu de lois violant les conventions internationales relatives à la liberté d’expression.

Le 03/10/2024 à 11h11

«Nous espérons vivement que l’Algérie respectera ses obligations internationales en matière de droit à la liberté d’expression», ont affirmé plusieurs experts onusiens, le lundi 30 septembre, dans une correspondance où ils exigent de la Cour d’appel d’Alger d’annuler la condamnation de la poétesse du Hirak, Djamila Bentouis, emprisonnée depuis plusieurs mois au pénitencier de Koléa, sur la base de chefs d’accusation fallacieux. Cette demande, qui met le régime d’Alger au ban de la communauté internationale, a été émise par quatre rapporteurs spéciaux relevant du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, chargés respectivement des droits culturels, de la liberté d’opinion et d’expression, des droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, et de la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste.

Ces experts interpellent le régime algérien sur l’injustice flagrante dont est victime Djamila Bentouis. Arrêtée le 25 février 2024 à l’aéroport d’Alger, alors qu’elle venait de Paris pour se rendre au chevet de sa mère agonisante, finalement décédée quelques heures avant son arrivée, l’artiste a été condamnée, le 4 juillet dernier, à deux ans de prison ferme pour «appartenance à une organisation terroriste». Son crime? Avoir écrit des chansons patriotiques, entonnées par les manifestants du Hirak, et composé «Yasqot hokm el âskar» (À bas le régime militaire), chanson qui a fusé lors d’une marche du Hirak en France en 2021, dans le sillage des centaines de morts tués lors des incendies en Kabylie.

On ne sait pas encore si la Cour d’appel d’Alger a examiné, hier mercredi 2 octobre, le cas de Djamila Bentouis, native de Chlef en 1963, sage-femme de son état, mère de trois enfants, et ayant immigré vers la France dans les années 90, avant d’en acquérir la nationalité. Cette affaire, largement médiatisée, mais tue par la presse algérienne, est un nouveau coup dur pour le régime d’Alger. D’une part, la missive des experts onusiens défend clairement la légitimité des manifestations du Hirak populaire et fustige l’illégalité des actes que lui oppose le régime. «Nous sommes outrés par la pratique du gouvernement, consistant à museler un mouvement de contestation politique en arrêtant et détenant arbitrairement des personnes qui osent s’élever et s’exprimer», ont assené les rapporteurs de l’ONU.

D’autre part, cette correspondance accuse ouvertement le régime d’Alger d’abuser de l’article 87 bis du Code pénal pour accuser ses opposants de terrorisme et intimider ainsi le reste des Algériens. «Lorsqu’une artiste s’exprimant sur des affaires publiques est abusivement condamnée pour diffusion délibérée de fausses nouvelles ou de nouvelles malveillantes dans le public, susceptibles de nuire à la sécurité ou à l’ordre public, un effet dissuasif sur l’ensemble de la population est clairement recherché», lit-on dans la missive. Celle-ci ajoute que «la poursuite de Mme Bentouis pour terrorisme en vertu de l’article 87 bis et d’autres infractions liées à la sécurité nationale dans le Code pénal peut porter atteinte à la liberté d’expression et d’association en Algérie de manière plus générale

Il est donc clair que, pour les experts onusiens, qui qualifient de «contraires au droit international» les charges retenues en vertu de l’article 87 bis, tous les militants du Hirak actuellement emprisonnés doivent être relaxés, car ils ont été condamnés pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression, garanti par les lois nationales et internationales.

Ce n’est pas la première fois que les experts et rapporteurs du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU épinglent le régime d’Alger. Dans une précédente correspondance, datée de 16 janvier 2023, ils avaient abordé le cas du journaliste Ihsane El Kadi, accusant le régime de l’avoir harcelé depuis le déclenchement du Hirak populaire, avant de l’arrêter en décembre 2022 et fermer, quelques mois plus tard, son groupe de presse (Radio M et Maghreb Emergent) et le condamner à 7 ans de prison, dont 5 ans fermes.

Selon des informations diffusées par le quotidien français La Croix dans son édition du 29 septembre dernier, Ihsane El Kadi aurait vu sa peine d’emprisonnement réduite, en catimini, à 3 ans par le président algérien, le 4 juillet dernier, et pourrait même bénéficier d’une grâce ou d’une liberté conditionnelle le 1er novembre prochain. En septembre 2023, une autre mission de rapporteurs de l’ONU s’était rendue à Alger pour faire part de ses «préoccupations concernant la répression et l’intimidation continues des personnes et des associations critiques à l’égard du gouvernement, y compris le mouvement du Hirak». Des recommandations ont été adressées à la justice algérienne en vue d’«abandonner les poursuites et gracier les personnes condamnées pour l’exercice de leurs droits légitimes».

Par Mohammed Ould Boah
Le 03/10/2024 à 11h11