Pour Ali Benflis, une limite a été franchie par Ahmed Gaïd Salah, désormais le seul et véritable homme fort en Algérie. Le fait que le chef de l’armée ait tenté d’interdire aux manifestants de brandir le drapeau amazigh lors des manifestations en cours contre le régime, c’est là, pour lui, le geste de trop. Même les rares, et au demeurant prudents, soutiens dont Ahmed Gaïd Salah bénéficie encore commencent aujourd’hui à le lâcher, dont Ali Benflis, l’un des plus emblématiques d’entre eux.
Ali Benflis est l’une des rares personnalités encore crédible en Algérie. Cet ancien chef du gouvernement, grand opposant au régime de Bouteflika et à l’ancien président, avait jusqu’ici observé une position neutre, mais critique, devant les dernières évolutions que connaît l’Algérie: prise des rênes du pouvoir par le chef de l’armée, annonce d’une nouvelle présidentielle…
Mais c’est sans compter la volonté de Gaïd Salah de vouloir imposer non une réforme, mais un semblant de transition, lequel n’a nul autre but que de maintenir, vaille que vaille, le système. Un choix imposé, mais décrié chaque semaine par la rue. C’est justement pour provoquer un peu plus celle-ci que le général Ahmed Gaïd Salah vient de décréter une interdiction, celle de brandir le drapeau amazigh, qui s’apparente à une véritable offense.
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Cet ultime geste du chef de l’armée a fini par sortir Ali Benflis de sa réserve. Dans une interview accordée au Quotidien d’Oran, l’ancien chef de gouvernement n’y est pas allé de main morte. Sur la portée de ce symbole, il a été très clair: «l'emblème national et la bannière amazighe, ils sont chacun à sa place. L'emblème national est à sa place dans la Constitution comme symbole de l'Etat qui a guidé, jusqu'à la mort, des femmes et des hommes qui en tombant en martyrs ont permis que se lève l'Etat algérien libre et souverain. Quant à la bannière amazighe, elle est aussi à sa place, c'est-à-dire dans nos racines, dans notre histoire et dans notre identité».
Ali Benflis voit, en fait, dans cette décision de Ahmed Gaïd Salah une énième et vaine tentative de diviser les Algériens. Une tentative qui a pourtant échoué, puisque pas plus tard que vendredi dernier, le drapeau amazigh, au même titre que le drapeau algérien, ont bel et bien été hissés.
«Vendredi dernier, la révolution démocratique pacifique a fait l'une des plus belles démonstrations d'unité nationale. C'est l'Algérie riche de son pluralisme et de sa diversité qui est sortie triomphante et plus soudée que jamais», a déclaré Ali Benflis.
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Un message, à peine voilé, est ainsi adressé au chef de l’armée, auteur de cette interdiction. Ali Benflis coupe d’ailleurs court avec celui-ci et se donne, au cours de cette même interview, dans véritable leçon au chef de l’armée algérienne, où il pose clairement les limites que l’armée ne doit pas dépasser.
Prenant le chef de l’armée au mot, et rappelant «l'engagement solennel pris par l'ANP [l’Armée Nationale Populaire, Ndlr] de protéger la révolution démocratique pacifique en marche» et «de l'accompagner jusqu'à la satisfaction pleine et entière de ses revendications justes et légitimes», Ali Benflis précise que le rôle de l’armée n’est pas celui d’un «ordonnateur» mais celui d’un «facilitateur».
Pour Ali Benflis, le rôle de l’armée algérienne «n'est pas celui du guide mais d'accompagnateur. Il n'est pas celui du maître d'œuvre mais celui du garant». «Facilitation», «accompagnement» et «garantie» sont donc les principes devant régir son fonctionnement. Au vu de l’approche dictatoriale désormais adoptée par Ahmed Gaïd Salah, qui joue la montre et espère, à tort, que la contestation s’essouffle, les principes de Ali Benflis risquent fort de rester lettre morte.