Sur le plateau de l’émission "28 minutes", diffusée le 24 novembre sur la chaîne de télévision franco-allemande Arte, le débat porte sur la situation tant sociale, que politique et économique en Algérie, pays dirigé par un "président algérien aux abonnés absents" relève-t-on en préambule de l'émission en abordant le sujet de l’hospitalisation de Abdelmadjid Tebboune, 75 ans.
"Une absence prolongée qui rappelle la présidence Bouteflika lorsqu’un président fantôme dirigeait le pays entre deux hospitalisations", analyse le reportage diffusé en préambule du débat, sur fond d’images du mouvement du Hirak, mouvement populaire né en février 2019.
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Face à cette absence qui se prolonge, de nombreuses interrogations restent en suspens. "L’Algérie peut-elle réussir sa transition démocratique?", "entre un président absent, des arrestations de manifestants et de journalistes, le pays a-t-il vraiment rompu avec les pratiques du régime Bouteflika?", "l’opposition qui avance en ordre dispersé peut-elle changer la donne?"…
Autant de questions brûlantes soulevées lors de ce débat télévisé et auxquelles s’attèlent à répondre les deux invités. D’un côté, Jean-Pierre Filiu, historien, professeur des universités à Science-Po, auteur de l’essai "Algérie - la nouvelle indépendance", paru aux éditions du Seuil.
De l’autre, Meriem Amellal, journaliste à France24, spécialiste du Moyen-Orient, animatrice de l’émission hebdomadaire "Express-Orient".
Un pays aux mains de l’arméeDe l’avis de Jean-Pierre Filiu, "la révolte populaire ne fait que commencer, car ce sont toujours les militaires qui dirigent le pays".
Celui-ci prévoit par ailleurs que "quand ils pourront à nouveau manifester, les Algériens seront plus d’un million dans les rues".
Un point de vue partagé par Meriem Amellal, qui juge que "l’Algérie traverse une période de marasme politique, économique, sanitaire, social qui n’a rien à envier à la présidence d’Abdelaziz Bouteflika. Le peuple se retrouve livré à lui-même et la crise sanitaire ne sert qu’à faire temporairement diversion".
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Ainsi, au-delà de cette apparence de vacuité du pouvoir, il y a, selon Meriem Amellal, un pouvoir réel, fort et dictatorial détenu par l’armée. De son point de vue, certes la présidence détient aussi un certain pouvoir, "mais l’armée qui est là depuis l’indépendance a le pouvoir sur la présidence". Une situation que la journaliste décrit comme un "cauchemar interminable" car l’armée a réussi à se maintenir en place jusqu’à ce jour.
Une situation longue comme un jour sans pain qui n’est pas sans rappeler pour les deux invités de l’émission la guerre d’indépendance qui a duré sept ans. "Les manifestants savent que le changement ne se fera pas en un jour. Ce n’est pas du jour au lendemain que ce système va démissionner pour laisser la place aux civils", juge la journaliste de France 24.
Un théâtre d’ombres qui ne fait plus illusionPour Jean-Pierre Filiu, l’échec du régime algérien est absolu. "La comédie ne tient plus. Le théâtre d’ombres que le régime essaie de projeter à l’intérieur et à l’extérieur a été invalidé de manière très calme et très sereine par les Algériens eux-mêmes".
Et quand l’historien évoque ce théâtre d’ombres, il tient à revenir sur cette expression avec précision pour bien faire comprendre "son aspect extrêmement déroutant". "On a ces rites d’un autre âge qui ne signifient plus rien pour les Algériens, mais qu’ils acceptent, sans pour autant les pousser à des réactions de violence ou de désespoir", analyse-t-il dans un premier temps.
Et puis, il y a ce nombre: 602, soit le nombre de jours écoulés depuis le départ de Bouteflika. "602 jours après, on se retrouve avec un président qui n’est pas là, qui est malade", lance un journaliste de l’émission.
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Pour l’historien et professeur, il convient de se pencher sur la signification de ce nombre pour mieux appréhender ce régime. "Cela veut dire que le système est tout simplement incapable de se renouveler, biologiquement, intellectuellement, politiquement, sociologiquement. Il a épuisé toutes ses ressources. C’est un système de rente, c’est une gérontocratie qui arrive en fin de cycle biologique".
Et de citer à titre d’exemple de cette succession de disparitions, celle survenue l’année dernière de Ahmed Gaïd Salah, "le chef d’état-major qui, à peine son grand œuvre accompli, est mort", poursuit Jean-Pierre Filiu.
Quels lendemains pour l’Algérie?Dans cette crise algérienne, l’historien estime que "la comparaison avec la crise du bloc soviétique au sens large, dans sa dimension générationnelle et biologique s’impose tout à fait". Mais le parallèle s’arrête là. On n’ira pas jusqu’à voir pour autant en Karim Tabbou, figure du Hirak actuellement en prison, un futur Lech Walesa, car pour le moment selon Jean-Pierre Filiu, "on ne connait pas encore les noms des futurs dirigeants de l’Algérie démocratique parce qu’ils ne sont pas encore apparus", et pour cause, "la question des noms vous amène en prison et les dirigeants ne doivent pas s’afficher".
"On est face à une grande inconnue et en même temps une grande espérance", poursuit-il, en insistant sur le slogan algérien, "un seul héros, le peuple", qu’il considère être une réalité, "parce que c’est là qu’il y a toutes les énergies, toutes les compétences, tous les dévouements, toute la capacité à servir le pays et c’est justement cela que le régime est en train de saborder".