«Les combattantes» en lutte contre l’islamisme: la couv’ du «Figaro Magazine» qui divise les Français

"Les combattantes" en Une du Figaro Magazine

Les combattantes en Une du Figaro Magazine . Figaro Magazine

Stigmatisante pour certains, porteuse d’espoir pour d’autres… Comment une photo de couverture de magazine révèle le schisme qui fracture la société française autour du débat sur l'islamisation de la société française.

Le 16/10/2020 à 15h32

Au lendemain du discours d’Emmanuel Macron sur le séparatisme, le Figaro Magazine a dédié sa couverture à cinq femmes présentées comme des figures de la lutte contre l’extrémisme religieux, en l'occurrence l'islamisme. Si cette couverture suscite beaucoup de réactions contradictoires, celle-ci n’occasionne en revanche aucun débat. Attention, terrain ultra glissant.

Le profil type des combattantes de l’extrémisme religieuxA l’honneur de cette photo de Une, cinq personnalités féminines plus ou moins bien connues des Français. Au centre, la Franco-Marocaine Zineb El Rhazoui, ancienne journaliste de Charlie Hebdo qui a gagné en notoriété après l’attentat qui a coûté la vie à une partie de la rédaction et que l’on présente dans l’article du Figaro Magazine comme un «symbole de la lutte contre l’islamisme», «la cible des intégristes», «la femme la plus menacée et la plus protégée de France» et enfin la «chef de file du printemps arabe qui a quitté le Maroc en 2011 pour se réfugier en France».

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A ses côtés, on retrouve Sonia Mabrouk, journaliste à Europe 1 et à CNews et accessoirement, première journaliste tunisienne à présenter le journal télévisé en France en intégrant la chaîne Public Sénat, en 2008.

Y figurent aussi Najwa El Haïté, «future avocate, docteure en droit public, élue dans la commune d’Évry-Courcouronnes, auteure d’une thèse sur la laïcité»; Fatiha Agag-Boudjahlat, professeure d’histoire-géographie et essayiste, auteure du Grand Détournement et de Combattre le voilement, (Éditions du Cerf); et Dana Manouchehri, jeune femme «d’origine iranienne dont la famille (...) a fui, en 1985, les violences de la révolution islamique pour se réfugier en Norvège» où la jeune femme lutte depuis contre «l’obscurantisme islamiste».

Bien qu’elle soit mentionnée dans l'article auquel renvoie cette Une, Jeannette Bougrab, juriste, essayiste et femme politique qui se présentait comme la compagne de Charb, (dessinateur de Charlie Hebdo qui a trouvé la mort lors des attentats contre le journal), ne figure pas sur la photo de couverture.

Du pain béni pour l’extrême droite?Outre le fait que ces femmes (du moins quatre sur cinq) partagent un «amour de la France accolé à des origines maghrébines, une confession musulmane pratiquée dans l’intimité de la vie privée, des valeurs républicaines chevillées au cœur, un engagement féministe et laïque», celles-ci ont toute en commun d’avoir fait de la lutte contre le fanatisme religieux et plus particulièrement, l’islamisme, leur cheval de bataille. Quitte, dans certains cas, à voir leur discours récupéré par l’extrême droite française qui n’hésite pas à les ériger en modèles de liberté, et à en faire des exemples féminins d’émancipation qui devraient inspirer toutes les femmes musulmanes de France.

Et c’est bien là le problème pour les détracteurs de cette couverture. Car à l’heure où le discours prononcé par Emmanuel Macron sur la lutte contre le séparatisme est accusé de favoriser la stigmatisation de la communauté musulmane, cette photo symbolique de femmes qualifiées de combattantes qui se mobilisent contre l’islamisme crée un certain malaise.

«Faut-il ressembler à ces femmes pour rassurer la France?» s’interrogent certains, sceptiques quant à l’image donnée ici de figures de proue de la lutte contre l’islamisme. Et qu’en est-il de celles qui ne se retrouvent pas en ces femmes, en l’occurrence celles qui portent le voile, accessoire auquel ces «combattantes» sont précisément opposées et qu'elles qualifient ici d’«uniforme d’une idéologie fascisante», de «symbole du patriarcat arabo-musulman»? Jouent-elles le jeu des islamistes en continuant de le porter?

Une chose est sûre, alors qu’un sondage Ipsos réalisé au lendemain de l’attentat perpétré devant les anciens locaux de Charlie Hebdo en septembre annonçait que 74 % des Français musulmans de moins de 25 ans affirment mettre l'islam avant la République, alors qu'ils sont 25 % parmi les 35 ans et plus, la position tenue par ces cinq femmes exprime l’extrême opposé: la République et ses valeurs avant toute chose. Sans surprise, la couverture est donc très applaudie par les défenseurs de la France laïque, profondément républicaine et défenseuse de toutes les libertés.

Sans surprise non plus, cette même couverture est accusée de jouer le jeu du racisme. Sur Twitter, une internaute déplore ainsi: «on ne pouvait pas mieux illustrer le fait que les possibilités de représentation publique des groupes sociaux racisés dépendent grandement de leur collaboration active à l’ordre raciste». Et de conclure, «c’est peut être la seule véritable méritocratie, au fond».

Même son de cloche dans ce tweet qui s'interroge: «la seule façon pour une arabe d’être à la Une du Figaro Magazine c’est d’être connue pour cracher sur les autres arabes? Ma France ça».

Enfin du côté de la journaliste Nassira El Moaddem, celle-ci juge que «cette Une est terrible. Pas pour les idées que ces personnes peuvent défendre, libre à elles. Elle est terrible d'essentialisation de 5 femmes. Elle est terrible de par l'utilisation que cet hebdomadaire fait de leurs origines. Elle est terrible, car il dit ici qui est bonne Arabe», écrit-elle dans un premier post avant d’enfoncer le clou: «et alors même que parmi elles, une ne l'est pas... L'esthétisme de la photo n'efface en rien le mépris et le racisme qui suintent».

Vers une définition du bon et du mauvais Arabe?«Elles croient changer la France , elles finissent par tomber dans le fantasme de l'homme blanc, les beurettes», relève un autre twitto, mettant ainsi le doigt sur un profond malaise qui mine la société française et soulève quelques interrogations.

Car in fine, à qui s’adresse cette couverture? A la communauté musulmane de France pour lui inspirer de nouveaux modèles féminins et provoquer en son sein une profonde remise en question? Si c’est le cas, autant dire que l’opération est un flop total, car loin d’ouvrir le débat, cette photo et l’article qui l’accompagne n’ont pas pour vocation d’échanger dans un climat d’apaisement.

En effet, il s’agit ici de s’opposer à l’intégrisme salafiste et au communautarisme, mais en dénonçant l’attrait de gens de plus en plus jeunes pour la religion aux dépens de la réussite et de l’excellence. Jeunes gens qualifiés d’«orphelins de la République» face auxquels il faut agir avec «intransigeance et fermeté».

A moins que cette couverture ne s’adresse plutôt à une certaine France blanche et laïque afin de lui prouver que tous les musulmans ne sont pas à mettre dans le même panier et que l’islamisme est aussi combattu au sein de cette même communauté. En l’occurrence par des femmes jeunes, belles, libres, sexy et non voilées, cela va de soi, et qui ne sont pas sans rappeler un certain cliché orientaliste d’une Shéhérazade fantasmée par l’Occident, autrement dit, la femme arabe libérée du patriarcat de sa culture par l'Occident.

«L'horreur du cliché colonialiste utilisé depuis 1930. On appelle ça le syndrome "du rapt des femmes" en anthropologie. Un classique. Femmes exhibées sur un plateau comme des trophées de chasse d'une culture en guerre», écrit ainsi ce twitto.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 16/10/2020 à 15h32