Dans ce documentaire introspectif, intitulé «Mauvaise langue», Nabil Wakim, journaliste d’origine libanaise au quotidien Le Monde, arrivé en France à l’âge de 4 ans, se base sur son histoire personnelle pour mieux explorer le malaise qui plane autour de l’usage de la langue arabe en France.
Déjà petit, se souvient-il, il avait honte d’entendre sa mère s’exprimer en arabe dans la rue. Un malaise qui se renforce des années plus tard, après les attentats du 13 novembre 2015 en France, revendiqués par l’organisation terroriste Daech. Dès lors, Nabil Wakim, devenu père, s’interdit de parler arabe à sa fille «par instinct de survie». Une autocensure qui se répand comme une traînée de poudre dans la communauté arabophone de France, devenue celle qui transmet le moins sa langue originelle.
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Afin de mieux comprendre ce phénomène, le journaliste interroge des personnes anonymes, mais aussi des personnalités issues de l’immigration, telles que Najat Vallaud Belkacem, ancienne ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, ou encore l’actrice Sabrina Ouazani, afin d’analyser leur rapport à leur langue maternelle et mieux appréhender les blocages à sa transmission.
La langue «pauvre» des immigrés
Premier élément de réponse, l’arabe, dans l’imaginaire collectif, serait assimilé dans les années 1980 à la langue «pauvre», celle des immigrés et des déclassés. Trente-cinq ans plus tard, au gré de l’actualité, la langue arabe est cette fois-ci frappée du sceau de la dangerosité et de la radicalisation. Conséquence directe, la deuxième langue la plus parlée de France, avec 3 à 4 millions de locuteurs, est pourtant la moins enseignée, se positionnant à ce titre derrière le russe et le chinois, avec seulement 3% des collèges et lycées de France qui proposent son apprentissage.
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Comment dès lors la faire vivre et la transmettre? interroge le documentaire. Najat-Vallaud Belkacem, qui apporte son précieux témoignage, s’est heurtée à la difficulté de cette question. En 2016, la ministre d’origine marocaine avait fait face à une levée de boucliers lorsqu’elle a proposé l’apprentissage de la langue arabe au sein de l’école républicaine. Une initiative perçue comme une tentative de transmission de «la langue du coran» aux petits Français.
«Cette langue continue d’être perçue comme le cheval de Troie de ce grand remplacement, de cette invasion fantasmée, de cet islamisme qui fait peur… C’est oublier qu’il y a quantité de gens (athées, chrétiens) qui pratiquent l’arabe, le lisent, l’écrivent… C’est une méconnaissance incroyable de la réalité des locuteurs arabes», explique l’ex-ministre dans le documentaire.
Au-delà de la honte et des crispations
Auteur du livre «L’arabe pour tous» (2020, éd. du Seuil), Nabil Wakim poursuit, avec ce documentaire à la première personne, des questionnements essentiels visant à comprendre le sentiment de honte qui s’empare des Français de culture arabe afin de mieux le dépasser. Il s’agit aussi pour le journaliste de saisir les mécanismes qui ont permis aux enfants d’immigrés de perdre leur langue maternelle.
«Je suis perçue comme marocaine, parce que j’en ai le faciès, résume l’artiste Mariam Benbakkar, mais comme je ne sais pas parler arabe, je ne suis pas légitime… C’est comme si j’avais une demi-identité, comme si je n’étais pas complète».
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À travers des photos de famille, des archives, des moments de partage filmés dans le quotidien des uns et des autres, Nabil Wakim retrace la trame intime d’histoires familiales, collectives, d’expériences personnelles. Les récits s’entrecroisent et nourrissent la reconstitution de cinquante ans de décolonisation, d’immigration et d’intégration, confrontés à un racisme de plus en plus décomplexé.
In fine, parler de l’arabe ou parler cette langue revient ici à parler de la société française dans son ensemble depuis l’arrivée de la première génération d’immigrés, à travers ses évolutions et ses blocages: de la reconstruction du pays après la Seconde Guerre mondiale, à l’euphorie de la génération «black-blanc-beur», jusqu’aux tensions sécuritaires et identitaires qui ont fait suite au 11 septembre…
Un véritable plaidoyer pour une diversité reconnue, partagée et sereine, avec pour argument principal le fait que parler une autre langue est une chance, non un handicap, et encore moins une honte.
«Mauvaise langue», de Nabil Wakim, diffusé le mercredi 11 septembre à 22H50 dans le cadre de l’émission «Infrarouge» sur France 2, est à (re)voir sur le site de diffusion et de replay de France Télévisions France.tv.