Plus de trois mois après la prise en chasse de quatre vacanciers, dont deux Franco-Marocains, par les gardes-côtés algériens, alors qu’ils s’étaient perdus, à bord de leurs jet-skis, entre les eaux territoriales du Maroc et de l’Algérie, les familles pleurent toujours leurs proches.
De cette promenade en mer, le 29 août 2023, seul un membre du groupe, Mohamed Kissi, est parvenu à regagner le Maroc sain et sauf. Les trois autres n’ont malheureusement pas eu sa chance. Son frère Bilal a été tué par les balles de la marine algérienne et son corps a pu être repêché en mer, pour être dignement enterré au Maroc.
Abdelali Mchiouer est lui aussi tombé sous ces mêmes balles, mais sa dépouille, récupérée par les garde-côtes algériens, est toujours détenue dans une morgue de Tlemcen, en Algérie. Depuis trois mois, malgré les démarches entreprises par sa famille pour récupérer son corps, malgré les supplications de ses proches, Alger fait la sourde oreille, contraignant les avocats de la famille à saisir, le 25 septembre, le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires pour déclencher une enquête.
Le troisième homme, Ismaïl Snabi, a été quant à lui emprisonné en Algérie. Dans une interview filmée, donnée au quotidien français Le Parisien, Israa Snabi, l’épouse de ce Franco-Marocain de 27 ans, confie son désespoir. Depuis trois mois, son mari et père de ses trois enfants a été emprisonné en Algérie, après avoir été condamné par la justice à un an et trois mois d’emprisonnement pour «entrée illégale sur le territoire et contrebande de véhicule».
Un procès ubuesque et une peine incompréhensible
Le journal Le Monde revient également sur la condamnation d’Ismaïl Snabi, expliquant au sujet de cette peine que, le 30 août, en comparution immédiate, l’accusé a tout d’abord «été condamné à trois mois de prison ferme pour « entrée illégale » sur le territoire algérien par le tribunal de Bab El-Assa». Selon son épouse, il a été présenté «torse et pieds nus» devant la cour, car «il n’avait que son maillot et un gilet de sauvetage en mer». Du côté de ses proches, on dénonce également, dans les colonnes du Parisien le fait que le jeune homme «n’avait pas de traducteur» au cours de son procès, alors que, bien qu’il parle l’arabe, «il ne maîtrise pas l’arabe littéraire», langue employée dans les tribunaux.
Mais lorsque Ismaïl Snabi et le procureur de la République décident de faire appel, la peine est à nouveau confirmée lors du procès en deuxième instance à Tlemcem, le 24 septembre, «durant lequel il a été jugé en vidéoconférence», précise la publication.
«Et ce n’est pas tout», poursuit-on, car «pour avoir traversé la frontière maritime sans les documents du scooter des mers (qui appartient à Mohamed Kissi), M. Snabi a été poursuivi pour délit de contrebande d’un véhicule» et condamné, le 6 septembre, à six mois d’emprisonnement ferme et à 15 millions de dinars d’amende (environ 100.000 euros), «soit cinq fois la valeur du jet-ski, selon les douanes, qui se sont portées partie civile». Une somme dont il doit s’acquitter auprès de la direction des douanes pour avoir fait entrer un jet-ski dans le pays sans l’avoir préalablement déclaré.
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Suivra un nouvel appel formulé par Ismaïl Snabi et le procureur de la République, qui aboutira, contre toute attente, le 1er octobre, à un alourdissement de sa peine à un an de prison ferme. Impossible pour Ismaïl Snabi de se pourvoir en cassation sur ces deux affaires, car, explique son épouse au journal Le Monde, «on a dépassé les délais. Il ne sortira pas de prison tant qu’il n’aura pas payé l’amende».
Des conditions de détention inhumaines
Depuis ce terrible 29 août, la jeune femme a pu voir son mari pour la première le 28 novembre, annonce le journal Le Monde. Une visite qui était loin d’être facile à obtenir, car bien que la jeune femme soit d’origine algérienne, elle a dû demander un passeport algérien pour pouvoir rendre visite à son mari, car, explique-t-elle, «sa demande de visa avec ses documents français» lui a été refusée.
Au cours de cette visite de vingt minutes au parloir, derrière une vitre, elle n’a pu que constater, impuissante, l’état déplorable dans lequel se trouve son époux. «Il m’a dit qu’il dort parfois par terre. Aujourd’hui, il n’est pas bien. Il a perdu une vingtaine de kilos, alors qu’il est un peu bouboule. C’est même son surnom. Je vais tout faire pour le faire sortir», explique-t-elle.
Pendant ce temps-là, confie l’un de ses proches au Parisien, «Ismaïl ne comprend pas du tout ce qui lui arrive (…) Ils sont vingt par cellule… Pour quelqu’un qui n’a jamais fait de prison, c’est dur».
La marocanité d’Ismaïl Sbani, cause de l’acharnement judiciaire d’Alger?
Israa Snabi explique ainsi avoir alerté à plusieurs reprises le ministère des Affaires étrangères français pour obtenir une assistance, ainsi que le rapatriement de son mari. Mais, déplore-t-elle, «ni le consulat, ni personne n’est venu le visiter en prison», alors même qu’Ismaïl Snabi «est Français, il a la nationalité française et est arrivé au Maroc avec un passeport français». Pour la jeune femme, «la France doit faire quelque chose».
Aux deux médias, une source diplomatique française déclare que «les services du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères suivent avec attention la situation de Monsieur Snabi», précisant qu’«au titre de la protection consulaire dont peut bénéficier tout Français détenu à l’étranger, plusieurs demandes ont été adressées aux autorités compétentes afin que notre ressortissant puisse bénéficier d’une visite consulaire».
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En désespoir de cause, Israa Snabi a décidé d’engager un avocat pour faire rapatrier son mari, afin qu’il purge sa peine en France. Elle souhaite organiser prochainement un rassemblement devant la mairie de Clichy-sous-Bois, pour que son mari ne soit pas oublié.
Mais pour l’heure, les autorités algériennes continuent à faire la sourde oreille. Au journal Le Monde, Israa Snabi répète ne pas comprendre ce qu’elle juge être un «acharnement judiciaire» à l’endroit de son mari et la sévérité des peines auxquelles il a été condamné. Car bien que les avocats algériens aient souligné, explique le Monde, «qu’il avait été poursuivi pour deux délits pour le même fait, n’avait aucun casier judiciaire et que la cour devait considérer son erreur de navigation comme une circonstance atténuante. Rien n’y a fait».
«C’est parce qu’il est aussi marocain qu’il est en prison?», se demande Israa Snabi, à juste titre. Une question qui se pose également dans le cas du défunt Abdelali Mchiouer, dont la famille en appelle désormais aux autorités religieuses algériennes afin de faire justice face à cette infraction à la règle religieuse musulmane, qui souligne le devoir de restituer les dépouilles aux familles, et ce, même en temps de guerre.