Le communiqué de Maroc Telecom diffusé au début de cette semaine, révélant la signature d’une convention d’investissement avec le gouvernement pour un montant de 10 milliards de dirhams couvrant la période 2019-2021, soulève bon nombre d’interrogations.
L’expert en télécoms Khalid Ziani, y voit «une façon maladroite» de répondre aux critiques formulées par les derniers rapports de la Banque Mondiale sur le secteur privé (publié début août) et de la Cour des comptes sur les services en ligne (publié en mai). Ces deux rapports accusent formellement Maroc Telecom d’exercer un monopole destructif sur le marché de l’Internet Haut débit fixe (ADSL).
Il ne s’agit donc nullement d’une simple coïncidence, mais plutôt d’une opération de communication de crise à travers laquelle l’opérateur historique cherche à redorer son blason, après avoir fait l’objet de sévères critiques, tant au Maroc qu'à l'étranger.
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D’ailleurs, le communiqué de Maroc Telecom relève davantage de la manœuvre que d’une annonce réelle portant sur un investissement substantiel. Car si on décrypte cet investissement, de l'ordre de 10 milliards de dirhams, on n’y trouve rien de nouveau par rapport aux montants investis chaque année. Mieux encore: l’opérateur historique en tire des avantages.
En effet, le montant des investissements engagés dans la nouvelle convention, soit 10 milliards de dirhams sur trois ans (3,33 milliards par an), correspond au strict minimum que l’opérateur doit dépenser pour maintenir un niveau de service acceptable. Khalid Ziani constate que la nouvelle convention s’est fixée un montant identique au volume moyen d’investissement observé lors des cinq précédentes conventions, lesquelles totalisent 58 milliards de dirhams.
Mieux que cela, en annonçant «la signature de la sixième convention d'investissement avec le gouvernement pour le développement des télécommunications», Maroc Telecom va probablement bénéficier d’avantages fiscaux de la part de l’Etat. Il est d'ailleurs opportun de remarquer que ni le gouvernement, ni le ministère de l’Industrie, de l’Investissement, du Commerce et de l’Economie numérique n’ont communiqué sur cette convention. Et le gouvernement, par ailleurs, ne devrait ne pas être dupe de ce tour de passe-passe au double objectif: une opération de communication et la recherche d'avantages fiscaux.
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Par ailleurs, avec l’avènement de la 5G, le plan triennal 2019-2021 nécessiterait un effort plus conséquent en matière d’infrastructures, relève l’expert en télécoms.
«On ne peut pas accéder à la 5G en l’absence d’une mutualisation des infrastructures, quelle que soit le dispositif de régulation», souligne à cet égard Khalid Ziani.
S’agissant de l’ANRT, souvent pointée du doigt pour son retrait et son indifférence face au monopole de Maroc Telecom, l’invité de Studio Le360 lui reproche son manque de communication, voire l’absence d’une vision propre au secteur des télécoms, ce qui laisse ainsi un vide s’installer sur le marché.
Cela dit, nuance l’invité de Studio Le360, l’ANRT ne peut agir que dans le cadre de la loi qui, dit-il, reste timide dans la mesure où elle limite le partage au seul segment du mobile (roaming), excluant de son champ le partage des infrastructures du réseau fixe.
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Ziani critique également le fait que la loi encadrant les télécoms au Maroc ne prévoit pas des licences spécifiques dédiées aux opérateurs d’infrastructures, comme cela a lieu dans d’autres pays, notamment en Europe.
La séparation entre les opérateurs de services et ceux d’infrastructures amènerait les trois opérateurs à filialiser la partie réservée aux infrastructures préalablement à leur mutualisation. «Beaucoup d’opérateurs mondiaux veulent investir au Maroc. De par sa position géographique, le Maroc est l’endroit idéal pour le peering (l'interconnexion). Jusqu’ici consommateur, le Maroc pourra ainsi se transformer profondément pour devenir un fournisseur principal d’infrastructures télécoms dans le monde», conclut Khalid Ziani. Mais ce n’est pas de cette oreille que l’entend Abdeslam Ahizoune, patron de Maroc Telecom.