Dans la première partie de cet entretien, Fathallah Oualalou analyse les effets et les conséquences de la pandémie sur la mondialisation.
Selon l'ex-ministre des Finances du gouvernement d'Alternance qu'avait dirigé Abderrahman Youssoufi dès 1998, cette crise prouve l’existence et l'état d'avancement de la mondialisation. La rapidité de propagation du virus, depuis la Chine où il avait été annoncé en décembre 2019, ainsi que les mesures de confinement qui ont été imposées au niveau mondial, en sont la preuve concrète.
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Pour ce professeur universitaire, économiste et auteur de l'essai La Mondialisation et nous, paru au mois de février dernier, cette crise n’entraînera pas une “démondialisation”, la mondialisation continuera, mais de manière différente.
Fathallah Oualalou émet ainsi trois observations: d'une part, les interdépendances entre les tissus productifs se maintiennent, et, d'autre part, qui dit "interdépendance" dit "compétition", mais aussi, et enfin, coopération entre les Etats. L'économiste en veut pour preuve le vaccin contre le Covid-19, objet d'une féroce compétition, mais aussi de coopération.
La crise a ainsi révélé une nouvelle bipolarisation du monde, selon Fathallah Oualalou, avec, d'un côté, les Etats-Unis, et la Chine, de l’autre. Elle a aussi été le révélateur du renforcement des géants du numérique, à savoir les GAFA américains (Google, Apple, Facebook et Amazon) et des BAT chinois (Baidu, Alibaba et Tencent) pendant cette crise.
Cependant, le confinement a provoqué des ruptures dans les chaînes de valeurs mondiales (automobile, aéronautique, etc.), et ces ruptures vont amener à des redéploiements de la politique économique. Les Etats vont ainsi privilégier la proximité. Premièrement, produire au niveau national. Deuxièmement, la promotion de la production au niveau régional, l’Union européenne, par exemple, parle de relocalisation et c’est là que nous devons leur dire que la relocalisation passe par la «re-régionalisation» avec la Méditerranée et l’Afrique voisine, explique encore Fathallah Oualalou.
Cette crise a poussé les Etats à abandonner l’orthodoxie financière (un déficit de 3% du budget, une dette publique de moins de 60%, etc.). L’Etat a dû se déployer et reprendre ses fonctions d’Etat protecteur et stratège. Les Etats ont été forcés de repenser leurs politiques publiques pour préserver la santé des citoyens et la protection des populations les plus fragiles, des pauvres et des marginaux, ainsi que la protection de l’économie et sa relance.
A court terme, ces politiques poseront problème, notamment pour leur financement. Les Européens ont réussi à monétiser la dette et la mutualiser. Les pays les plus riches prennent ainsi en charge une partie de la dette des pays plus fragiles. Dans ce cadre, il est essentiel qu’il y ait une concertation mondiale sur la dette des pays en voie de développement et des pays pauvres, plaide l'ancien argentier du Royaume, toujours l'un des ténors des socialistes marocains.
Pour Fathallah Oualalou, le monde de demain sera multipolaire, mais orienté vers plus de partage avec des politiques publiques qui s’organisent autour des biens communs, la santé, la protection des plus fragiles et l’environnement. Aussi l’Occident et tout particulièrement les Etats-Unis devront accepter la montée de la Chine et d'autres pays asiatiques, et dans ce contexte, il est important pour nous, dit Fathallah Oualalou, qu’il y ait un troisième pôle, avec une verticale Europe-Afrique-Méditerranée.
Le futur rôle clé du Maroc dans cette verticale est un avantage, et constitue une opportunité. Le Royaume se place en effet depuis longtemps dans la logique euro-méditerranéenne, mais aussi dans une logique africaine, explique Fathallah Oualalou.
«Le Maroc devrait servir de relais tout en rappelant aux frères africains que la Méditerranée est africaine et que le Sahara n’est pas une barrière mais un relais, lui aussi», rappelle l’ancien ministre. Et c’est dans ce sens que la gestion de la crise par le Maroc est si importante.
Sous la vision éclairée de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le Maroc a fait le choix de placer la santé des citoyens en tête des priorités, explique Fathallah Oualalou, pour lequel le Fonds spécial créé à l'initiative du souverain a parfaitement joué son rôle pendant le confinement. Ensuite, décrit-il, il y a eu les deux discours royaux qui ont signé le retour de l’Etat protecteur, avec la préparation de la généralisation de la couverture sociale, et de l’Etat stratège, avec les 120 milliards pour la relance économique.
«Nous sommes dans une année difficile, nous allons avoir une baisse du PIB de plus de 5%, nous sommes aussi dans une année de sécheresse, et nous attendons que l’Europe sorte de l’inertie. L’Europe, c’est la demande, mais c’est aussi le tourisme, et les transferts des MRE», explique Fathallah Oualalou.
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A court terme, la relance au Maroc passera nécessairement par celle qui aura cours dans l’économie européenne, mais aussi et surtout par une concertation internationale et régionale pour résoudre le problème de la dette, qui va continuer d’augmenter.
A moyen terme, le Maroc doit réussir ses dialogues à la fois avec ses marchés proches et lointains. Mais le Royaume a un atout, explique Fathallah Oualalou, c’est d'être un leader dans l'exportation des phosphates et de leurs dérivés, avec le rôle clé de l’OCP, et cet instrument doit servir dans la négociation avec le voisinage et les pays lointains.
«Nous devons rester attachés au Maghreb et renforcer nos liens avec l’Europe, mais nous devons pousser l’Europe à changer la nature de ses rapports avec nous. Nous avons commencé avec Renault et Peugeot, il faut continuer à pousser l’Europe à coproduire avec nous. C’est là que la notion de relocalisation sera rattachée à un autre concept, la "re-régionalisation". En Afrique, grâce à une vision royale nous y sommes, il faut renforcer nos liens avec le continent, c’est une dynamique d’avenir», détaille-t-il.
Interrogé sur les leçons à retenir de cette crise, Fathallah Oualalou prône l’amélioration de la gouvernance aux niveaux local, régional et gouvernemental. Comment maîtriser la mutation de l’Etat, en un Etat protecteur et stratège? Comment l'Etat va-t-il de plus en plus tendre la main au privé, mais le pousser aussi à jouer son rôle? Tels sont les défis qui l'attendent.
Concernant l’informel, fortement présent dans notre économie, l’ancien ministre explique que le formel reste un tracteur, et que s'il avance, automatiquement l’informel reculera.
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Au sujet de la politique économique, ce professeur en économie précise que celle-ci doit intégrer trois logiques: la logique domestique ou locale, la logique régionale (l’Europe et l’Afrique) avec une centralité méditerranéenne, dans le but de créer un troisième pôle d’équilibre pour contrebalancer les rapports de force, entre la montée de la Chine et la position des Etats-Unis, première puissance mondiale. Enfin une logique mondiale, où le Maroc doit réussir son intégration, dans un monde qui se retrouve sans boussole.
A propos de la rentrée, de la reprise de l’économie et des projections qu'il ferait sur les mois à venir, Fathallah Oualalou reste optimiste, mais souligne l’importance du fait que le mariage entre la logique de protection des plus pauvres, et la logique d'une relance de l'économie, doit être géré avec beaucoup de doigté.
«Une crise comme celle-ci peut amener à tout le mal et [à beaucoup de] bien. Mais je pense que c’est une épreuve qui peut créer une opportunité. L’interdépendance va forcer les Américains et les Chinois à se mettre d’accord, car c’est dans l’intérêt commun et c’est pour cela que je ne suis pas pessimiste», déclare le prof, qui fait montre une fois de plus de son esprit résolument positif.
Enfin, concernant les décisions récemment prises par son actuel successeur, Mohamed Benchaâboun, qui occupe le bureau que lui-même avait occupé de 1998 à 2007, l’ancien argentier du Royaume souligne que tout ministre des Finances doit gérer les contraintes qui s’imposent, et que jusqu'ici, les décisions qui ont été prises sont dans la logique des choses.